Leadership de soi: préalable indispensable au leadership tout court

Le leadership de soi, préalable au leadership tout court

J’ai eu le grand plaisir d’être invitée par ICF (International Coach Federation) France pour assister à une journée sur le leadership animée par Robert Dilts. L’occasion de découvrir un principe fondamental du leadership: il passe avant tout par le leadership… de soi. 

Le leadership de soi, préalable au leadership tout court

Robert Dilts: du leadership de soi… au leadership tout court

L’ICF, fédération de coachs qui oeuvre pour la professionnalisation du coaching, propose régulièrement à ses membres des journées thématiques animées par des grands noms du coaching. Ces journées sont l’occasion d’une formation continue essentielle à un métier dans lequel le client, par les problématiques qu’il rencontre ou les objectifs qu’il amène, “a toujours un pas d’avance sur nous”, comme l’a souligné Christine Puechbroussou-Moulin, ancienne vice-présidente de l’association et très impliquée dans l’organisation de ces événements.

Elles sont aussi l’occasion de rencontrer ses pairs, de confronter et partager des pratiques, bref, d’aller vers le meilleur de soi, pas à pas. D’où la thématique de cette journée sur le leadership du coach, que l’on peut de bien des manières adapter au leadership tous court. Ce que fait Robert Dilts régulièrement, puisque ce thème est au cœur de ses interventions actuelles.

En effet, le leadership du coach, de par la posture de celui-ci, passe tout d’abord (ou devrait passer) par le leadership de soi, c’est à dire la réconciliation interne qui permet de s’accepter et de se construire sans arrogance, sans tentation des jeux de pouvoir, mais au contraire avec l’assurance sereine de celui qui n’est pas la pour prouver, mais pour faire, celui qui sait où il va et comment y aller. Ce leadership de soi est la condition préalable au leadership tout court: un ensemble d’aptitudes indispensables pour emmener plutôt que diriger.

Le leadership n’est pas le pouvoir

Si manager est une fonction, le leadership est une aptitude, que Robert Dilts résume ainsi  “leader vient du vieil anglais lithan, qui signifie aller, et que le leadership fait référence à celui qui passe devant, qui va en premier, pour éclairer le chemin.” Cette aptitude s’articule autour d’un mélange de compétences relationnelles, de comportements et de facultés qui ne sont pas l’apanage de quelques élus invités à la distribution des prix au berceau, mais un ensemble qui s’il est de l’ordre de l’intangible, se construit.

Robert Dilts cite abondamment l’exemple de Steve Jobs et il n’est pas le seul: donnez un coup de pied dans un lampadaire à leadership et il tombe des Steve Jobs en veux-tu en voilà. A chacun ses leaders: personnellement Je ne vois pas en lui pas la marque d’un leader inspirant, mais plutôt celle d’un showman à la sauce barbecue, si chère aux américains, emmenant des foules consentantes avec des discours faussement décontractés et ultra étudiés, passés à la moulinette des neurosciences, pour un impact maximum. Mais la question va plus loin: quel leadership chez un homme reconnu comme un despote colérique et auto-centré? Car le leadership n’est pas le pouvoir, bien au contraire. Il ne s’assoit pas sur la marge décisionnaire, il ne repose pas sur l’imposition par le haut. Comme le précise Francis Rousseau, président d’Euroconsulting :

 – Le pouvoir va du haut vers le bas, il s’impose de manière hiérarchique. Le leadership va du bas vers le haut: on est reconnu leader par son groupe
 – Le pouvoir cherche à diviser pour mieux régner: organiser et répartir les tâches. Il ouvre la porte à l’abus de pouvoir. Le leadership, c’est unifier pour mieux régner: il cherche à souder, à encourager l’adhésion à des idées, une cause, un objectif
 – Le pouvoir donne des ordres, fait exécuter. Le leadership est participatif, suscite et utilise la créativité de chacun, il fonde son autorité sur la synthèse des forces du groupe.

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A chacun son leader, à chacun son leadership

Le leader n’est donc pas tant celui qui s’élève au dessus des autres que celui qui passe devant. Et ce sont ses suiveurs qui le désignent.

On peut donc, selon Yves de Chaisemartin, ancien PDG d’Altran, “avoir beaucoup de pouvoir – le pouvoir de faire comme celui de nuire – sans avoir aucune qualité de leader”. Je rajoute : et inversement. Je suis bien plus intéressée par les leaders de l’ombre, ces salariés, entrepreneurs et managers que nous ne verrons jamais à la une des magazines, qui ne sont pas nécessairement dans les arcanes du pouvoir, que par les Steve Jobs de ce monde. Ils sont ceux qui font le boulot, jour après jour, entraînant dans leur sillage des équipes heureuses de contribuer à quelque chose qui a du sens.

Et ce leadership est individuel: il n’est pas formaté par les qualités qu’il exige: l’expression de ces qualités est profondément personnelle et s’appuie autant sur les valeurs du leader que sa personnalité, ses mécanismes émotionnels, ses besoins, ses croyances. Ainsi la formation au leadership n’est possible que lorsqu’elle est entièrement personnalisée et s’articule autour de la singularité de l’individu.

Les qualités d’un leader

Puisque le leader est celui qui emmène ses troupes sur un chemin précis, il a avant tout besoin d’une direction plutôt que d’une destination. Pour Robert Dilts, c’est bien la direction (le sens) qui est primordial. Ainsi, vu d’en bas, on indique la direction vers le sommet de la montagne, plutôt que le point précis du sommet. Ensuite, et c’est le deuxième élément essentiel: pour se mettre en mouvement, l’énergie est nécessaire. Au final, le leader un fournisseur de barres de céréales / éclaireur d’un chemin pas toujours facile. Et sa capacité à le faire se construisent autour de 4 aptitudes fondamentales:

 – La capacité à exprimer la vision: d’une façon qui donne du sens, aux deux sens du terme.
 – La capacité à influencer – terme que je n’aime pas beaucoup, entre lui et la manipulation, il n’y a qu’un pas. Je préfère la capacité à susciter l’adhésion.
 – La capacité à générer la coopération, au service de la vision commune.
 – L’exemplarité : mentionnée partout dans les définition du leadership, l’exemplarité est le fondement de l’élégance relationnelle d’une part, de l’élégance comportementale d’autre part. Il ne s’agit pas d’une exemplarité sans faille, du’une quête de perfection dont la recherche pourrait générer des effets pervers, comme le montre Karine Lair dans cette tribune. Il s’agit plutôt d’une cohérence solide (à défaut d’être parfaite) entre la parole et les actes.

Leadership de soi

Le pavé dans la mare pour bien des managers qui se rêvent en leader, c’est que la plus grosse partie du travail passe d’abord… par soi. Remisées les recettes à réchauffer au mirco-ondes qui prétendent former de chouettes leaders et qui en réalité vous déguisent un manager plein de bonnes intentions en chefaillon à l’égo surdimensionné. Selon Robert Dilts, avant d’espérer emmener les autres vers des jours meilleurs, mieux vaut être en capacité de s’emmener soi-même dans des contrées plus fertiles que les terrains vagues des craintes de toutes sortes (relationnelles, morales, opérationnelles etc.) et de leurs compensations (la peur qui transforme en Persécuteur, par exemple, ou qui confond autorité et autoritarisme).

Le leadership tout court passe donc tout d’abord par le leadership de soi: la capacité à mobiliser et faire coopérer toutes nos caractéristiques personnelles, vers cette vision de soi. Souvent, nous sommes une collection de voix intérieures discordantes, qui génèrent plus de craintes et de freins que de fluidité et de leadership. Ce sont les voix de nos valeurs (les valeurs morales et motrices se contredisent souvent) qui nous tirent dans un sens, celles de croyances familiales dans un autres, celles de nos besoins qui s’égosillent souvent en vain, et celles de nos qualités qui peinent à être pleinement exploitées… bref, il en résulte une constante compétition interne à celui qui parlera le plus fort, cacophonie interne paralysante qui génère plus de valse hésitation que de détermination. Comment répondre à l’appel de la prise de risque quand les croyances héritées de Mémé Huguette, c’est “en première, pas de poussière”?

Leadership de son équipe intérieure

etre le chef d'orchestre de toutes les facettes de soi-mêmeEn d’autres termes, pour devenir un leader des autres, il est important de commencer par être leader de soi-même. Nous avons tous une équipe intérieure qu’il va s’agir d’amener à collaborer pour aller vers une vision commune. Cette équipe est constituée de membres disparates qui sont toutes les facettes de nous-mêmes: besoins, valeurs, compétences, croyances, identité personnelle et professionnelle, traits de personnalité, mécanismes émotionnels etc.

Chacun s’exprime plus ou moins fort, parfois seul, parfois en binôme, parfois de façon collective, parfois les uns contre les autres et l’ensemble peut générer un brouhaha de pensées automatiques, de ruminations, d’injonctions contradictoires, de questions sans réponse, bref, une cacophonie de bruit et de fureur pas très favorable à une posture de confiance, d’assurance et de vision qui va mobiliser les troupes à l’extérieur de soi. Comment transformer ce tintamarre en un chœur heureux, qui s’exprime davantage en hymne à la joie qu’en chevauchée des walkyries?

Hymne à la joie, car il y a du plaisir dans la réorganisation de soi en un tout cohérent et compréhensible, autant par soi que par les autres. Le leadership de soi, c’est orchestrer toutes ces voix pour qu’elles chantent ensemble une mélodie harmonieuse et puissante, en les alignant et en étant en capacité de leur appliquer les 4 principes du leadership est une étape indispensable, pour détendre un égo ultra stressé par ses propres craintes et aller vers un soi-même authentique et décomplexé.

Leadership de soi et alignement

C’est – entre autres –  l’alignement de toutes ces voix qui va permettre le leadership de soi. En d’autres termes, leur réconciliation. Celle-ci passe par l’écoute de chacune, les nourrir en fonction de leurs besoins pour qu’elles puissent sortir de l’égo (rappelons que celui-ci est un frein majeur à la collaboration) qui les pousse à brâmer pour elles-mêmes plutôt que d’œuvrer pour la collectivité. Je vous propose une façon d’aligner ces voix, nous aurons l’occasion de revenir sur d’autres.

Chacune de ces voix est porteuse de bénéfices et de bénéfices secondaires, dont il est important d’avoir conscience pour vivre en paix avec soi-même plutôt que de lutter contre soi en permanence, ce qui est contre-productif d’une part et peu charismatique d’autre part. Celui qui parvient eu leadership de lui-même va agir en chef d’orchestre de ses mécanismes internes en œuvrant par exemple dans le sens de:

heureux relations

  • Le ramollissement des croyances limitantes ou des messages contraignants hérités de l’éducation ou de l’expérience et transformées en pseudo vérités universelles, qui sont autant de frein à l’évolution personnelle et à la collaboration.
  • La connaissance de ses valeurs, y compris la distinction entre valeurs morales qui contraignent l’action et valeurs motrices qui l’entraîne. Savoir comment s’appuyer sur les secondes, éternelles sources de motivation qui distille une énergie contagieuse.
  • La connaissance (et la reconnaissance) d’une identité propre, qui s’appuie sur une singularité assumée, des traits de personnalités (plutôt que des défauts/qualités, forces/faiblesses) acceptés et pris en compte.
  • La vision: ce que nous voulons de positif pour le monde en général, pour le groupe professionnel auquel nous appartenons en particulier. C’est cet appel vers quelque chose qui dépasse notre personne, qui a du sens. La singularité se sent au mieux lorsqu’elle est au service de plus grand qu’elle-même, elle est l’inverse de l’individualisme forcené au bénéfice de soi seul.
  • L’identification de sa propre contribution à sa vision, ce qui donne du sens à nos actions comme à notre vie professionnelle, la nature de notre participation active à notre vision. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces deux derniers points. La vision et la contribution, une fois alignées, procurent à la fois du sens et un sentiment de reconnaissance et d’épanouissement.
  • Une poétique de soi qui apaise l’égo et favorise le regard bienveillant sur soi-même, l‘estime de soi et l’acceptation de soi.

Ainsi libéré de son égo craintif, propice à l’individualisme et à la recherche du bénéfice personnel, et au contraire inscrit dans une reconnaissance de soi saine et sereine, le manager chef d’orchestre de lui-même est alors en mesure de devenir un leader au sens propre du terme, capable de favoriser la relation, la confiance mutuelle, plutôt que la discorde et les relations pourries. Il devient alors à même de participer à créer des espaces collaboratifs et conviviaux, d’emmener avec lui ses salariés.

triplette poétique de soi: estime de soi, l'essentiel et la relation à l'autre

 

Aller plus loin

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9 Comments

  • karen dit :

    Article majeur au contenu plus que précieux. Tellement indispensable qu’il pourrait porter le titre de “Leadership de soi, préalable à une existence vivante et vivifiante”.
    Merci.

  • Corinne dit :

    Super article – clair, synthétique, et ayant le mérite de tordre le coup à certaines idées reçues (“Le leadership n’est pas le pouvoir”), et de poser un regard différent sur le sujet (être leader de soi avant de vouloir être leader des autres).
    Cela me plaît – merci beaucoup pour cette contribution !

    • Sylvaine Pascual dit :

      Merci pour ce retour qui me fait très plaisir! Le sujet me tient à cœur, car le leadership devrait avant tout être une question d’élégance comportementale et relationnelle, pas de requin aux dents longues^^

  • ” Je ne vois pas en lui pas la marque d’un leader inspirant, mais plutôt celle d’un showman à la sauce barbecue, si chère aux américains, emmenant des foules consentantes avec des discours faussement décontractés et ultra étudiés, passés à la moulinette des neurosciences, pour un impact maximum”
    Très très juste, et drôle en même temps.
    Et merci pour ce magnifique article. Il est tellement important de rappeler que le leadership n’est pas le pouvoir, bien au contraire. Il suppose, comme vous le dites très justement, d’avoir assez cheminé pour n’avoir pas besoin de mettre son ego en avant.
    Ah si nous pouvions nous donner pour représentants politiques d’authentiques leaders, hein ? Mais c’est un autre sujet. Paraît-il 😉

    • Merci Phillipe pour ce commentaire! Et puisque c’est un autre sujet, parlons-en! Je me dis parfois que, peut-être, quand on porte aux nues des pros du show bien affûté, on a les leaders politiques que l’on mérite… Peut-être qu’il y a d’autres modèles à promouvoir pour nous-mêmes avant d’espérer voir surgir de belles postures dans la classe politique?

  • Mukonkole Nkole odon dit :

    J’ai aimé l’article vraiment !
    Félicitations pour votre contribution !

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