Reconversion dans l’artisanat: le “faire”, entre quête de sens et innovation

J’ai eu le plaisir d’être invitée dans l’émission Smart Job, sur BSmartTV, à une table ronde sur le thème de la reconversion dans l’artisanat. L’occasion de revenir sur l’intérêt croissant pour ces changements de métier et le vaste panel de possibilités qu’ils offrent aux cadres intéressés. 

Reconversion dans l’artisanat: un thème dans l’air du temps

Les reconversions dans l’artisanat sont dans l’air du temps, entre autres depuis la publication du livre La révolte des premiers de la classe de Jean-Laurent Cassely et la déferlante de témoignages dans la presse qui a suivi. L’imaginaire collectif les a d’ailleurs déjà ancrées comme une réalité très liée aux diplômés aisés et lassés des “bullshit jobs” et motivés par une quête de sens, souvent présentée comme actuelle, même si en réalité, chaque génération a eu son lot de reconversion dues au besoin de sens, depuis celle des chèvres dans le Larzac jusqu’à celle des chambres d’hôtes. 

“Rien n’est plus romanesque que d’échapper à un destin prometteur, ou plutôt de superbement le refuser, pour sauver la planète et se sauver soi-même.” écrit à ce propos Monique Dagnaud, sociologue, directrice de recherche au CNRS, qui estime que la reconversion dans l’artisanat est l’un des trois scénarios types des “bifurcations de destin”.

Pourtant, il n’est pas du tout certain que le ras de marée décrit par certains soit statistiquement vrai. S’il y a une augmentation du nombre de personnes qui se reconvertissent dans l’artisanat, cet article publié sur Usbek et Rica évoque un signal faible plutôt qu’un phénomène de masse :

– « Une analyse de l’Institut Supérieur des Métiers (ISM) indique quant à elle que les cadres reconvertis représentent actuellement 12 % des créateurs de sociétés artisanales» soit moins de 0,5% des cadres

– Sur les 130 000 adultes formés par les CMA pendant l’année 2020, 10 % étaient des cadres en reconversion

Cependant, l’intérêt pour l’artisanat va croissant et il constitue une mine de possibilités pour les cadres qui y songent. Selon les chiffres des Chambres des métiers pour la semaine de l’artisanat de l’année dernière :

– 700 000 emplois à pourvoir parmi 250 métiers (bâtiment, services, production, alimentation) et plus de 510 activités différentes

– 1 créateur d’entreprise sur 3 provient d’un autre univers, avec probablement 15% d’anciens cadres/professions libérales de moyennes et grandes entreprises

D’autre part, le réseau Initiative France, qui accompagne les porteurs de projet d’entreprise artisanales, note que 54% des artisans accompagnés ont entre 30 et 45 ans.

Voir aussi:

L'artisanat, des métiers qui redessinent la relation au travail en lui donnant des dimensions philosophiques et sensorielles importantes

L’artisanat : une image figée… et encore éloignée de la réalité

L’image de l’artisanat reste, dans l’inconscient collectif, figée dans une vision surannée : celle de l’artisan en bleu de travail travaillant seul au fond d’un atelier poussiéreux, associée à l’idée de vieux métiers, vieux outils, savoir-faire d’antan, tradition et travail manuel, par opposition à intellectuel.

Or, cette opposition est peu pertinente: les dimensions intellectuelles dans les métiers d’artisans sont non seulement multiples, mais aussi indispensables, qu’il s’agisse de la conception, de la réalisation ou de la commercialisation, mais aussi de la gestion et du management de l’entreprise. Ils sont aussi en constante mutation : matériaux, pratiques et techniques évoluent, la technologie et le numérique s’y sont intégrés et l’innovation est depuis toujours au cœur du monde artisanal. 

Mais cette culture de l’innovation est pourtant largement ignorée ou sous-estimée: “Le dynamisme des entreprises artisanales, en matière d’innovation, est encore mal connu car il a été longtemps occulté par les modes d’investigation utilisés dans les études”, précise cette note de la Revue française de gestion*  qui explique que “Les enquêtes se sont majoritairement cantonnées à mesurer l’innovation technologique dans les grandes entreprises, avec des indicateurs quantitatifs limités aux activités de R&D”, excluant de facto les TPE.

D’autre part, aujourd’hui s’ajoutent d’autres pistes d’innovation qui peuvent elles aussi faire appel à l’imagination, la réflexion, la créativité : le développement des circuits courts, des matériaux durables, l’utilisation des nouvelles technologies etc. Il y a aussi les innombrables possibilités d’apprentissage continu (il s’agit de métiers d’experts dont le savoir ne se limite pas au CAP) ainsi que de collaborations fructueuses avec des métiers connexes. De quoi se faire frétiller la matière grise sans compter:

Le “faire” est à l’évidence au cœur des métiers de l’artisanat, mais pas seulement. Faire oui, mais aussi faire bien, faire utile, avec l’idée, comme le souligne Nicolas Bard dans l’émission (voir ci-dessus), qu’il y a quelque chose de noble dans ces métiers. S’ajoute à cela l’importance pour nombre de cadres reconvertis dans l’artisanat de la possibilité de voir le fruit de leur travail, le produit fini ainsi que l’impact du produit en question sur ceux et celles qui en bénéficieront, bien loin du sentiment d’être un minuscule maillon dans la chaîne, comme ça peut être le cas d’autres métiers.

La quête du “faire”: passer de col blanc à travailleur manuel

J’ai répondu aux questions de Eva Ben-Saadi sur le thème “La quête du “faire”: passer de col blanc à travailleur manuel” en compagnie de:

– Nicolas Bard, co-fondateur de Make Ici – Initiative remarquable dont je vous reparlerai prochainement

– Xavier Pavie, professeur à l’Essec et philosophe

Voir aussi

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  • Boldrini, Jean-Claude, Hélène Journé-Michel, et Emmanuel Chené. « L’innovation des entreprises artisanales. Les effets de proximités », Revue française de gestion, vol. 213, no. 4, 2011, pp. 25-41.

Aller plus loin

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