Procrastination, performance et sérendipité

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La sérendipité, c’est tout l’art de trouver ce qu’on ne cherche pas. Je vous propose aujourd’hui le cas d’un de mes clients qui, en cherchant à prendre une décision professionnelle importante, a rencontré la procrastination dont il ignorait tout et, la sérendipité passant pas là, en a tiré une vraie source de performance.

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Le contraire d’un procrastinateur

Sébastien, 35 ans, ingénieur dans une centrale électrique, est tout l’inverse d’un procrastinateur. Il fait ce qu’il a à faire au moment où la tâche tombe. Aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle, il est organisé, méthodique, consciencieux. Pas du genre à laisser traîner des factures ou à faire la vaisselle le lendemain: ce qui doit être fait l’est, en temps et en heure.

Bosseur, loyal, droit comme un i, Sébastien s’attache à effectuer toutes les tâches professionnelles au fur et à mesure qu’elles arrivent, et la notion de respect des délais étant essentielle à ces yeux, les journées sont toujours trop courtes pour tout finir. Qu’à cela ne tienne, il ne craint pas la besogne, aussi il n’hésite jamais à ramener du boulot à la maison, qu’il finit parfois tard dans la nuit.

A première vue, Sébastien est le salarié zélé, exemplaire, que toute entreprise voudrait avoir. D’ailleurs, ses évaluations annuelles sont excellentes et il a suivi une évolution de carrière assez remarquable, et justement il vient me voir parce qu’on vient de lui proposer une promotion importante.

 

Un précrastinateur fatigué

Seulement voilà, il est fatigué. Sa tendance à la précrastination,  qui consiste, selon cet article de Psychomédia “à s’empresser d’accomplir une tâche, plus vite que nécessaire, même au prix d’un effort supplémentaire ou d’inconvénients.” l’épuise.

Et puis, une promotion, c’est aussi une charge de travail et des responsabilités plus élevées, alors qu’il vit déjà constamment dans l’angoisse de ne pas finir à temps – ce que personne ne sait – et de fournir un travail en deçà de ses compétences, par manque de temps. Même si ça n’arrive jamais. Il a sans cesse la tête à mille choses en même temps et ne parvient pas à déconnecter vraiment de son travail. Il finit par avoir des pensées un brin obsessionnelles et à être de plus en plus dur envers lui-même, jusqu’à la dévalorisation, l’angoisse et la démotivation. Du stress, quoi. Pour couronner le tout, avec un bébé en route, il craint de ne pas parvenir à concilier vie familiale et vie professionnelle.

Il vient donc avec l’objectif de prendre un décision professionnelle essentielle: accepter ou non cette promotion. Dans un cas comme celui-là, il s’est donc agit d’explorer les sources de stress pour voir si il était possible d’y remédier, puis d’évaluer ses besoins professionnels pour déterminer leur compatibilité avec ce job, dans l’esprit de l’exploration du boulot idéal.

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Organisation impossible

Evidemment, dans un cas comme le sien, on est tenté de dire “il suffit de s’organiser mieux, de planifier davantage”. Seulement il n’est pas nécessaire d’avoir un bac +18 en psychologie pour comprendre que Sébastien n’est pas stupide, et s’il en était capable, il l’aurait mis en œuvre depuis longtemps. Il est plus judicieux de questionner la démotivation que de tenter vainement de réactiver la motivation à coups de recettes toutes faites.

Sébastien a hérité d’un sens de la droiture et d’une relation au travail qui le poussent à agir ainsi: lorsque quelque chose arrive sur son bureau (et entendons-nous bien, nous ne parlons pas de simples mails mais bien de tâches professionnelles), il doit le traiter immédiatement, faute de quoi il développe un sentiment de culpabilité qui pollue son esprit pendant qu’il travaille sur autre chose et par ricochet diminue son efficacité. A l’inverse, lorsqu’il s’interrompt pour se mettre à une nouvelle tâche, il perd le fil de ce qu’il faisait et la tâche lui demande encore plus de temps. Il a conscience que s’interrompre ou tout faire en même temps n’est pas une solution et il est incapable de s’organiser autrement.

En fait, son fonctionnement répond à une implacable logique interne qui a eu raison de toutes ses tentatives de gestion des priorités:

  • Un système de convictions et de principes moraux très forts qui lui infligent de nombreuses obligations auto-imposées.
  • Un double driver « dépêche-toi » et « fais plaisir » qui l’ancrent à la fois dans le regard de l’autre et dans le besoin de satisfaire l’autre illico presto.

Il finit toujours dans les délais mais, pris entre deux stratégies inefficaces et génératrices de stress, Sébastien se fatigue, se décourage et craint d’avoir atteint ses propres limites.

 

procrastination performance sérendipitéBesoins, valeurs et procrastination choisie

Pour que Sébastien puisse prendre une décision en toute connaissance de cause, il a donc été indispensable de commencer par le réconcilier avec la notion de plaisir tout en ramollissant ces convictions qui le contraignaient à agir au détriment de son bien-être. D’autre part, renforcer l’estime de soi lui a permis de sortir de la peur du jugement d’autrui (et en particulier sur l’évaluation de son travail) et de se faire suffisamment confiance pour s’ouvrir à d’autres perceptions et prendre ses propres décisions.

C’est à dire des décisions moins influencées par son héritage culturel et familial d’une part, et qui s’appuient sur ses valeurs motrices plutôt que morales et prennent en compte ses besoins d’autre part. Or, il se trouve que ses valeurs motrices sont la famille, la simplicité et le plaisir. A ce moment-là, il lui est apparu indispensable de privilégier sa famille en cherchant une organisation simple qui lui permettrait de travailler moins, et retrouver un peu de plaisir, même si cela signifiait, au final, refuser cette promotion.

Et c’est là qu’il a identifié la procrastination choisie comme une stratégie possible. Et il ne s’attendait pas du tout à ce qu’elle allait signifier pour lui…

 

Procrastination choisie et sérendipité

L’objectif à ce moment-là était clairement de consacrer un peu plus de temps à sa famille en ramenant moins de travail à la maison. Il a mis en oeuvre la procrastination volontaire d’abord dans le cadre personnel, de façon à sortir de cette discipline de fer qu’il s’imposait sous forme de contraintes et corvées, et à renouer avec davantage de plaisir. Une vraie balade avec le chien de temps en temps, un peu de photo etc… Quand il a été à l’aise avec le fait de repousser certaines tâches à plus tard nous en sommes arrivés aux tâches professionnelles.

Quand on parle de priorités, on pense immédiatement à la matrice urgence/importance, aussi appelée matrice d’Eisenhower. Pour Sébastien, surtout pas. Il était bien question de recommencer à se faire plaisir, par d’intellectualiser des nouvelles contraintes sur des évidences. Il a choisi une stratégie qui s’appuie sur ses valeurs: un système de décision de procrastination volontaire axé sur l’envie et le plaisir, qui présente un risque de non accomplissement en temps et en heure minime, puisque le respect des délais est un principe moral fort chez lui. Il a donc conservé le bénéfices de ses valeurs morales tout en s’appuyant sur ses valeurs motrices.

Nous avons parachevé le truc en instaurant, un système d’évaluation et d’ajustement des stratégies si nécessaire, et l’ensemble a garanti des résultats durables, qui ne risquent pas de céder sous la pression de bénéfices secondaires non identifiés.

D’autre part, l’évaluation par le plaisir n’est pas un système infantile qui cède à tous les caprices. C’est une stratégie à part entière qui permet de remettre de la légèreté et de la fluidité dans l’organisation, puisqu’alors celle-ci répond aux besoins spécifiques de la personne. Et ces antipodes de la discipline version dictature auto-imposée, parce qu’ils respectent les rouages naturels de la mécanique humaine, lui ont donné rendez-vous avec la sérendipité sous la forme d’un formidable boost de performance.

 

Témoignage

“Aujourd’hui, je n’en reviens pas de tout ce que j’arrive à faire en beaucoup moins de temps. J’ai bien entendu accepté la promotion, et pourtant je travaille beaucoup moins qu’avant. Lors de mon évaluation annuelle, mon N+1 m’a mis en garde en me disant que j’abattais tellement de boulot que je risquais le burn-out. Je n’ai pas compris. Parce que justement, au contraire, je ne me sens plus du tout stressé, je me fais plaisir et je ne ramène plus jamais de boulot chez moi. J’ai du temps pour moi, je suis beaucoup plus détendu au boulot. Parvenir à accepter de repousser certaines tâches a été difficile, mais ça a été une vraie libération. Je me sens moins exigeant et en même temps j’arrive à accomplir plus de choses. Ca peut paraître contradictoire mais c’est un fait. Et en plus, accomplir plus de choses n’était pas l’objectif! Je me sens aussi beaucoup plus cool car je suis moins exigeant envers les autres, plus à l’écoute, je leur laisse plus de place. C’est bien dans le travail, les relations avec les collègues sont meilleures. Mais surtout, c’est bien pour notre bébé qui va arriver dans quelques semaines”.

 

Cas unique et leçons à tirer

Attention, le cas de Sébastien est simplement un exemple du travail que l’on peut faire en coaching. L’intérêt de ce cas réside dans le fait qu’il montre combien il est important pour chacun d’entre nous de vivre autant notre vie privée que professionnelle en fonction de nos besoins, de nos fonctionnements et de nos valeurs, car ils sont source de motivation, d’engagement et vont favoriser la recherche de solutions face à une situation problématique.

D’autre part, pour ceux qui seraient tentés par l’induction: en tirer la conclusion que la procrastination choisie est un merveilleux outil qui diminue le stress et augmente la performance, rappelons qu’aucun outil n’est universel, et une autre personne aurait aussi bien pu conclure qu’elle avait atteint ses limites en termes de charge de travail.

 

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Aller plus loin

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5 Comments

  • Joan Hamel dit :

    Très intéressant comme idée de la procrastination volontaire chez cet individu qui est droit comme un “i”. Retrouver de la légèreté et du plaisir dans sa vie.
    J’avoue que je ne connaissais pas le sens de sérendipité.
    Merci de nous accompagner dans le monde de l’être humain.

  • florespire dit :

    Et bien voilà ce que je vis actuellement et qui m’a poussée à réouvrir mon blog le mois dernier et à reprendre la plume ou plutôt le clavier car j’écris mon premier livre en parallèle
    .
    Je me retrouve dans cet exemple au travail comme à la maison. Comportement qui a tendance à agacer mes proches car je suis toujours en mouvement, toujours active. Au travail, bien souvent on est mal perçu par nos collègues qui y voient du zèle. Mais ce n’est pas ça du tout, c’est une conscience, un Jiminy Cricket qui est là en permanence pour vous tirer de votre canapé dès que vous avez quelque chose en tête parce qu’il faut le faire maintenant pour être débarrassé et ne pas crouler sous des tonnes de choses à faire.

    Seulement, dans mon cas ce n’est pas un choix professionnel qui m’a perturbée, bien que je sois obligée aujourd’hui d’envisager un autre job, non dans mon cas c’est un problème de santé qui m’a obligée à lâcher prise. Et comme je reste persuadée que rien arrive jamais par hasard, je ne tire que du positif de ce qu’il m’arrive aujourd’hui, pourtant ce n’est pas drôle du tout et pénible au quotidien.
    Mais je me dis que j’aurai continué longtemps à m’épuiser et me pourrir le cerveau en oubliant ce qui m’entoure si cette maladie n’était venue frapper à ma porte.

    Alors aujourd’hui, elle et moi on est copine lol, je la laisse occuper mon corps et mon quotidien en lui demandant de ne pas trop me faire souffrir en échange du changement positif qu’elle apporte à ma vie. Voilà 🙂

    Excellent article en tous cas et très vrai. Merci beaucoup

    • Merci infiniment pour ce témoignage! La précrastination peut être aussi pénible que la procrastination, pour des raisons différentes, et elle peut nous pourrir la vie. Malheureusement nous sommes nombreux à avoir eu besoin d’avertissements de santé pour apprendre à ralentir et à adapter nos rythmes – pour ma part, je suis plutôt procrastinatrice hyperactive et j’ai eu besoin d’un accident pour apprendre à prendre le temps… Et on ne peut que conseiller aux pré/procrastinateurs d’écouter davantage ce qui se passe à l’intérieur d’eux-mêmes. Chapea de l’avoir apprivoisée:))

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