Reconversion: réhabiliter la peur et la transformer en moteur

Changer de métier: réhabiliter la peur et la transformer en moteur

J’ai eu le grand plaisir de participer à nouveau à l’émission On est fait pour s’entendre, animée par Flavie Flament et nous avons eu l’occasion d’évoquer un sujet qui est une préoccupation constante des candidats à la reconversion : la peur, la trouille, les flubes, les foies, les chocottes. Et c’est bien compréhensible : un tel changement n’a rien d’anodin. Alors parlons-en car il est temps de cesser de mépriser la peur, cette merveilleuse conseillère. Et de la transformer en moteur. 

Changer de métier: réhabiliter la peur et la transformer en moteur

Ce billet est disponible en podcast et résumé en infographie ci-dessous

 

La peur, récurrente en reconversion

Elle est évidemment récurrente, la question de la peur dans le désir de reconversion. Peur de se planter, peur de ne pas faire les bons choix, peur de ne pas pouvoir vivre du métier qui pourtant nous fait tant vibrer. Peur en amont, peur au milieu du pont, peur en aval, parce que c’est un changement majeur, la peur peut intervenir à n’importe quel moment de l’itinéraire et elle a vite fait de devenir une entrave, un obstacle infranchissable.

– La peur peut simplement inquiéter ou angoisser, mais elle peut aussi agacer, contrarier, frustrer, ou encore démotiver, décourager, fatiguer.

– Elle peut aussi prendre bien des formes : doutes, perplexité, questionnements, ruminations, confusion, brouillard, angoisse tenace, sentiment d’être perdu(e) etc.

Lors de l’émission, nous avons évoqué la peur qui peut paralyser celui ou celle qui voudrait bien changer de métier et l’empêche d’avancer. Sans trop nous y attarder, parce qu’il y avait beaucoup de questions à traiter. C’est ce qui m’a donné envie de revenir sur ce sujet souvent mal traité… parce qu’on les maltraite, nos émotions qui sont pourtant tellement à notre service, pour peu qu’on sache quoi en faire!

Alors que faut-il faire de la peur ? L’ignorer parce qu’elle est le simple reflet de croyances limitantes ? Se forcer à « la dépasser » ? La laisser nous dicter de nous asseoir à une table de bistrot et de penser à autre chose (et en particulier à la chance que nous avons d’avoir un job) ?

Probablement rien de tout ça.

"Osez" l'injection qui fait tourner en rond (et ne résoud pas la peur)

Les 2 erreurs classiques liées à la peur

 1- Croire qu’il faut ignorer la peur et « oser »

D’un côté, on nous explique que la peur est une simple idée erronée qu’on a de la réalité – bandes de ramollis de la cafetière, vous n’avez pas encore compris que les émotions, c’est de la mollitude en inaction ?

La peur serait l’apanage des faibles, de petits braquets, aussi il faut l’oublier, la rejeter, la dépasser, « ne pas se laisser définir par elle », « ne pas se laisser dominer par elle » etc. et puis de toute façon, c’est un défaut de perception… parce que vous l’ignoriez, mais vous êtes de demeurés qui ne comprennent rien à ce qui doit ou ne doit pas faire peur, questions émotions, vous avez la carafe mal réglée (pardon : tunée). Mais heureusement, il y a des cohortes de mini-gourous qui vont vous donner la solution, qui tient en une injonction minuscule déclinée en majuscules : OSEZ ! Osez mous du genou, la réussite ne sourit qu’aux audacieux !

Seulement dans la vraie vie, les émotions fonctionnent un poil différemment et vous en avez certainement fait l’expérience si, parmi vos connaissances, il y a un marmot persuadé qu’ un monstre se cache dans le placard et à qui vous avez dit et répété « qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur ».

En reconversion, l’injonction d’ignorer la peur sous prétexte d’être audacieux ou courageux a vite fait de virer au mépris de l’émotion et par ricochet de la personne qui la ressent. C’est pourtant bien normal d’avoir un peu les foies à l’idée de faire le grand saut dans un monde professionnel tout nouveau, si beau soit-il. D’autant qu’ignorer les craintes liées au changement de métier a des conséquences

– Monter des projets tronqués, inaboutis, qui augmentent le risque d’être en inadéquation avec vous et donc le risque de plantage.
 – Générer de la procrastination, qui est le meilleur moyen de vous empêcher vous-même de faire quelque chose qui ne tient pas compte de vos besoins.

La procrasination est un système de protection

 

2- Croire qu’il faut « vaincre » la procrastination qu’elle génère

De l’autre on nous dit que la peur n’évite pas le danger. Alors il faudrait y aller !

Mais vous pouvez avoir tendance à y réagir en remettant délicatement votre désir de changer de métier soit aux calendes Grecques, soit dans un recoin oublié de votre tête, en espérant qu’il y prenne suffisamment la poussière pour disparaître. Ce faisant, nous l’évitons bien, le danger. Ce qui revient à procrastiner.

Alors on vous somme d’avoir du courage, bandes de moules, on vous dit que c’est bien parce que vous êtes des vrais aventuriers de la vie professionnelle que vous DEVEZ « vaincre » la procrastination ! Faute de quoi, vous êtes responsable de votre propre malheur, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-même ! Alors allez-y, plongez dans votre projet !

Pieds et poings liés ?

Car en réalité la procrastination vous veut du bien, elle vous met en mode protection :

– En remettant l’envie dans une oubliette.
 – En archivant votre projet dans un carton à mauvaises idées, voire à idées ridicules.
 – En l’ajournant à coups de rationalisations (quand j’aurais l’énergie, quand je me sentirais prêt(e), quand j’aurais plus de temps etc.).
– En disant y réfléchir sans mener aucune démarche concrète.

Vous voilà alors débarrassé(e) du problème, protégé(e) d’un avenir incertain, obscur, indéterminé qui collerait les miquettes au fils naturel de Bruce Willis et de Michelle Rodriguez.

Parce que se jeter dans le grand bain quand on ne sait pas nager, c’est tout simplement crétin. Comprendre qu’on a juste besoin d’apprendre la brasse ou le dos crawlé, c’est plus malin.

Reconversion : apprendre ce qu'on a besoin d'apprendre pour s'orienter avec aisance

 

Le courage n’est pas ce qu’on vous a dit : faire de la peur un moteur

Le courage, ce n’est pas de ne pas avoir peur, ce n’est pas de faire comme si de rien n’était en se répétant des mantras chers à la pensée positive, genre « même pas peur » et c’est encore moins d’aller sauter en parachute histoire de s’aguerrir avant de pouvoir s’y mettre : c’est de regarder en face ce qui nous effraie, de l’observer, de l’explorer et d’en tirer toute la substantifique moelle. Qui vous donnera de l’épine dorsale, évidemment, parce que comprendre ce qu’on a besoin de faire donne de l’assurance et de la confiance.

Alors autorisez-vous à écouter vos peurs.

 

La peur, excellente conseillère

Comme toutes les émotions, la peur est là pour vous transmettre des messages importants sur vous-mêmes et sur vos besoins. A l’origine, nos émotions étaient liées à la survie en tant qu’espèce, elles sont aujourd’hui liées à notre bien-être et… à la survie de nos projets.

Nos peurs nous sont très personnelles, elles trouvent leur origine dans les héritages familiaux et sociétaux d’une part et dans notre expérience personnelle d’autre part, qui ont façonnés nos systèmes de perception. Mais le fait qu’elles soient subjectives ne signifie pas qu’il y ait une quelconque échelle du danger qui justifie qu’on ait la trouille ou qui, au contraire, nous coince dans la case des tièdes qu’on a besoin de convaincre qu’ils doivent être audacieux.

Les peurs génèrent passivité et procrastination parce que c’est encore le meilleur moyen que votre petite entreprise interne a trouvé pour vous éviter ce qu’elle perçoit comme un danger. Voilà pourquoi nous les interprétons comme de vilains ennemis de l’auto-réalisation contre lesquels il faut se battre jusqu’à plus soif. Dans le cadre d’un objectif à enjeu comme changer de métier, il serait dommage de se retrouver embourbé(e) alors qu’on peut tirer de ces réactions parfaitement naturelles des tas d’enseignements précieux que cette excellente conseillère met à notre disposition.

Bref : cessons de lutter contre la peur, utilisons-là, exploitons-là, mettons-là au service de nos projets.

Mettre la peur au service du projet de bifurcation professionnelle

Le problème ce n’est donc pas la peur, mais plutôt la façon dont nous agissons face à elle. Et l’idée, c’est simplement de l’écouter, parce qu’elle a des choses passionnantes à nous dire.

Comme toutes les émotions, la peur cherche à nous mettre en mouvement dans le sens qui est bon pour nous, elle nous pousse à agir dans le sens qu’elle indique. Seulement comme nous ne savons pas déchiffrer les poteaux indicateurs qu’elle met sur notre route, nous restons à tourner sans fin autour du rond-point.

Non, ce n’est pas con, loser ou mollasson que d’avoir à se préoccuper de remplir le frigo et de payer des factures. C’est même le lot du commun de bien des mortels. Et être « leader » de son projet, ce n’est pas écouter lceux qui vous exhortent à « sortir de votre zone de confort » et d’arrêter de « vous auto-saboter ». C’est s’écouter soi-même et tenir compte de ses besoins. Il faut dire qu’à première vue, les questions que le peur souffle à nos oreilles inquiètes ne nous aident pas :

 – Est-ce que je vais pouvoir vivre de ce projet ?: qui transforme l’incertitude en angoisse… immobiliste (tant que je n’ai pas la réponse, inutile d’avancer)
 – Est-ce que ce métier est fait pour moi (ou moi pour ce métier) : qui ancre la piste dans un tel flou artistique qu’on se retrouve comme le randonneur dans un brouillard épais, sans point de repère
 – Est-ce que je prends la bonne décision ?
 – Mon projet est-il réaliste ?
– etc.

Parce qu’à tout ça, on a bien du mal à répondre autre chose que non, non et non.

Mais dès qu’on reformule, la peur devient un sacré moyen de s’orienter, car elle vous indique tout un tas de points à traiter qui sont importants pour vous. Voilà, c’est tout, inutile d’en faire une machine à jugements : ces points sont importants pour vous. Peut-être moins pour d’autres, ou pas, mais on s’en tamponne le coquillard puisque c’est de vous qu’on parle, là-maintenant-tout-de-suite.

C’est d’ailleurs un détail qui mérite qu’on s’y arrête une minute. Vous avez le droit, vous un avez un droit inaliénable à vos peurs. Non, elles ne sont ni ridicules, ni erronées, ni irraisonnées. Les jugements sur les émotions parlent davantage de ceux qui les passent que de ceux qui en font l’objet. On pourrait juger la peur s’il existait une échelle universelle de son intensité (ou de sa validité). On comprend l’attrait du principe : ça faciliterait le boulot : une situation = une émotion autorisée, y’a plus qu’à calibrer. Mais la vraie vie est un brin plus complexe et c’est tant mieux : que l’humain serait ennuyeux si chacun fonctionnait selon un mode d’emploi unique, fût-il en trois volumes. Question émotions, personne ne peut juger de leur pertinence ou de leur droit à l’existence : les uns n’auront aucune crainte face aux éventuelles difficultés financières mais pourront être pétrifiés à l’idée de questions administratives. D’autres seront très à l’aise avec une formation longue là où certains seront submergés par la trouille à l’idée de partager leur désir de changer de métier à leur famille. La seule chose qui compte, c’est justement la prise en compte de cette spécificité et de faire preuve de bienveillance envers soi-même. Quelques exemples :

  • Vous avez peur de vous retrouver à nouveau avec des cons après avoir subi du harcèlement ? C’est bien normal, vous avez soupé des abrutis de boulot. Vous avez besoin de développer une posture sereine et affirmée, de travailler l’élégance relationnelle.
  • Vous avez peur de vous tromper ? Ca se comprend : c’est bien la peine d’entreprendre un virage serré et un voyage professionnel au long cours, si c’est pour faire un truc qui ne vous apporte pas le plaisir escompté à l’arrivée, c’est bien la peine. Vous avez besoin de connaissance de vous, de vos désirs, besoins, appétences et aspirations pour pouvoir valider/invalider vos pistes
  • Vous avez peur d’en parler à vos vieux parents qui ont tant fait pour vous ? C’est bien concevable, on n’a pas envie de décevoir ou d’inquiéter nos proches. Vous avez besoin d’accepter de ne pas être l’enfant idéal et parfait que vous croyez devoir être.
  • Vous avez peur que la formation soit trop longue ou compliquée ? Ben oui, ce n’est pas évident de reprendre ses études à 30/40/50 ans. Vous avez besoin d’évaluer ce qui vous convient et vos limites en termes de durée et d’organisation de la formation, d’explorer toutes les possibilités de formations, y compris courtes.

Comment évaluer la pertinence et la faisabilité d'un projet

Vos émotions sont là pour vous orienter vers vos besoins, alors voici comment vous y prendre :

 

1- Accueillir la peur

Commencez par vous parler à vous-même.

Parmi le vaste champ sémantique de la peur, quelle est la nuance qui traduit précisément ce que vous ressentez ? Inquiétude, frousse, trac, angoisse, confusion, panique, insécurité, crainte, affolement, autre chose encore ?

Dites-vous que c’est bien normal d’avoir …. (notez ici le terme adéquat), c’est un sacré projet que vous avez là et c’est bien légitime d’avoir besoin de s’assurer que les éléments importants ont été pris en compte. Et que c’est bien pour ça que les flubes viennent chanter à nos oreilles une musique macabre, et que vous allez l’écouter avec intérêt.

 

2- Ecouter la peur

Pour comprendre ce mode protection qui vous immobilise, écoutez ce que la peur vous dit. Ille génère des sensations et souffle des pensées à votre cafetière alors observez bien :

Que craignez-vous, exactement ? De vous planter, de faire les mauvais choix, de ne pas pouvoir vivre de votre projet etc. ? Notez ce qui vous vient comme ça vous vient.

 

3- Reformuler en incluant le besoin

La reformulation sous forme de questions ouvertes, plutôt que de questions fermées va vous permettre d’inclure le besoin que vos questionnements dissimulent et de passer ainsi en mode solutions :

– J’ai peur de me planter – De quoi j’ai besoin pour y arriver ? Qu’est-ce que j’ai besoin de faire, de savoir, ce comprendre, d’apprendre (etc.) pour me rassurer ?

– Est-ce que je vais pouvoir en vivre? – Quels revenus peut-on espérer dans ce métier? Est-ce compatible avec mes besoins? Comment je m’y prends pour générer les revenus dont j’ai besoin?

– Mon projet est-il réaliste? – Comment vais-je faire pour faire vivre ce projet? Quels moyens, quelles ressources (internes et externes) je peux mettre en œuvre pour le réaliser?

 

Vous voilà en mode solutions! Il me reste à vous proposer un résumé en infographie et à vous souhaiter bonne route;)

Reconversion : réhabiliter la peur et en faire un moteur

 

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Aller plus loin

Vous voulez explorer votre désir de changer de métier et construire un projet cohérent, pertinent, qui répond à vos aspirations, besoins, désirs et appétences? Ithaque met son savoir-faire et son expérience à votre service. Pour tous renseignements, contactez Sylvaine Pascual.

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