Petits principes rugbystiques pour renverser des montagnes

Principes rugbystiques pour renverser des montagnes

 

Nous sommes tous capables de renverser des montagnes, pour peu qu’on y mette un peu de (mauvais) caractère, un peu d’épine dorsale, un peu d’huile de coude. Et l’ovalie peut nous donner quelques idées pour nous y prendre avec le lard et la manière, comme on dit chez Les rugbymen*

Principes rugbystiques pour renverser des montagnes

 

 

Changer l’histoire et renverser des montagnes

s'inspirer du rugby pour renverser des montagnesLors de la coupe du monde 2011, j’avais été invitée à une retransmission du match de poule France-Nouvelle Zélande en compagnie de plusieurs rugbymen et anciens rugbymen, dont Abdelatif Benazzi. Juste avant le début du match il raconte la victoire contre le Nouvelle Zélande en 1999 “La veille, on s’est retrouvés dans une chambre, on s’est dit: on a 80 minutes pour changer l’Histoire. En on a renversé une montagne”.

Mais malheureusement, il ne nous a pas expliqué comment on renverse des montagnes. Alors j’ai eu envie d’aller chercher dans le monde coloré du rugby en question quelques pistes pour construire un état d’esprit qui permet de renverser les montagnes professionnelles qui nous tiennent à cœur, de changer des histoires qui paraissent écrites d’avance.

 

 

Une montagne qui vaut la peine

Pour renverser une montagne, il convient d’abord d’en avoir une.
Il y a deux manières d’avoir une montagne : s’en choisir une, ou s’en faire une.

Mais dans les deux cas, ce qui compte, c’est qu’elle en vaille la peine. A quoi bon changer l’histoire pour une collinette?  Je préfère ceux qui chantent sur le terrain que ceux qui chantent sous la douche”  disait Maurice Prat. Un projet ambitieux qui ne génère pas de motivation et de plaisir ne crée pas l’engagement, en risque pas de vous donner envie de chanter sur le terrain et est plus facteur de procrastination et de découragement que de réussite spectaculaire. Alors autant se fixer des objectifs audacieux et motivants à la fois, de s’attaquer à des montagnes qu’on a vraiment envie de renverser, à défaut de quoi nous risquons surtout d’y aller avec une pelle et un seau, ce qui va bien la faire rigoler, la montagne en question.

1- Se faire une montagne

Par définition, on se fait une montagne d’un projet lorsque les tripes ont (plus ou moins) envie d’y aller et que la raison freine des quatre pieds. L’objectif déformé par le zoom sur les difficultés devient effrayant, paraît trop difficile, insurmontable. Le Sancy prend des airs de K2, qui est évidemment moins facile à renverser. C’est par exemple ce projet de reconversion et/ou de création d’entreprise que vous avez remisé dans un tiroir depuis longtemps et qui vous hante de temps en temps. Vous n’y croyez pas mais vous aimeriez bien le battre à domicile en match de poule alors qu’il organise la Coupe du monde, ce projet ? Et bien c’est faisable, les Australiens l’ont prouvé.

2- Se choisir une montagne

Les Monts d’Arrée, c’est peut-être un poil pas challengeant pour le grimpeur aguerri et l’Everest n’a plus aucun sens autre que narcissique. En d’autres termes, la montagne à renverser nécessite de générer une véritable motivation, d’avoir vraiment du sens, de vous mener vers quelques chose de tellement alléchant que vous en avez les cordes vocales qui jouent la Traviata toutes seules. Evidemment, le projet nécessite aussi d’être à votre mesure : si la France s’est retrouvée face aux Blacks en 1999 c’est qu’elle avait gagné le droit d’être là. Il va donc s’agir d’un projet ambitieux pour vous, qui ressemble à une montagne renversable, même si cela paraît improbable. Ce qui nous ramène au point précédent.

Bref: puisqu’on ne fait pas changer les mouches d’âne, pour plagier Albaladejo, si le baudet est miteux, trouvez-vous votre K2, votre Canigo ou vos Blacks, du moment que nous tenez entre vos petites mimines un projet pour lequel vous êtes prêt à vous remuer autant qu’à y prendre quelques bleus si nécessaire. Voir aussi:

management: créer les conditions de l'engagement et faciliter la collaboration

 

L’optimisme combatif

“Ces  champs clos sont les lieux de batailles où les seules armes sont le courage, la vaillance et l’abnégation et les clameurs toujours celles de l’espérance” -Pierre-Jean BOURGUIGNON
Ou, plus prosaïquement (et aussi probablement plus fréquemment) “Bon, les gars, on est chez nous, alors d’entrée, je veux qu’on joue chez eux.”

Voilà : si le pire n’est jamais sûr, le meilleur non plus. Envisager le pire, pour tout mettre en œuvre pour l’éviter, c’est une bonne idée. Exactement de la même manière, envisager le meilleur, pour accepter qu’il est une probabilité comme une autre, c’est aussi une bonne idée. Et œuvrer pour, c’est encore mieux.Voir:

Il est donc indispensable de commencer par décider qu’on va la renverser cette satanée montagne. On atteint plus d’objectifs en se disant « j’ai 80 mn pour changer l’histoire » qu’en se disant « je vais essayer de m’y mettre, mais quand même, faudrait que je sois certain(e) que mon projet est réaliste ».

Et pour cela, rien de tel que se forger non pas un mental de gagnant (rien que d’écrire cette expression sur mon blog, ça ressemble à une hérésie, j’en ai les doigts qui grillent sur le clavier), mais un état d’esprit qui permet la transcendance, un optimisme combatif qui transforme un professionnel lambda en conquérant capable du combat titanesque qu’il s’est lui-même donné (ça marche beaucoup moins bien avec les objectifs subis ou imposés^^). En Ulysse affrontant vents, marées et sirènes pour arriver à bon port, en Hillary escaladant le toit du monde avec sa vareuse en gabardine, en rugbyman allant au charbon même quand le deuxième ligne d’en face est prêt à lui mettre un de ces tampons d’anthologie qui feraient peur à Jonah Lomu. Mais attention, cet état d’esprit reste toujours teinté d’humilité: l’arrogance rend aveugle, elle minimise la tâche et la rend faussement facile et pousse à sous-estimer les efforts nécessaires.

Cet état d’esprit-là se travaille et s’entretient. S’il ne s’exprime pas tous les jours à toutes les heures et toutes les minutes, il répond présent lors des grands défis, il sort la tête dans les moments importants de nos vies. Cet optimisme combatif sait que l’issue peut être favorable puisque, pour emprunter une expression imagée aux militaires, il se sort les doigts pour ça. Ainsi, dans cette coupe du monde 2015, le Japon qui a battu l’Afrique du Sud ou le Pays de Galles qui a réussi à vaincre les Anglais chez eux malgré une flopée de blessés, voilà des équipes qui ont cru jusqu’au bout. “Le rugby est un sport de combat, disait Fabien Galthié. Si tu lâches, tu ramasses”. Alors on lâche rien et la seule chose qu’on ramasse, c’est le ballon.

En d’autres termes, développer un optimisme combatif, qui sait alterner phases de réflexion ( “Le travail d’un pilier passe beaucoup par la tête.”, disait Philippe Dintrans)  et phases d’action et est capable de laisser le cerveau au vestiaire quand c’est nécessaire, voilà le moyen de ne pas lâcher, de rebondir en modifiant ce qui ne marche pas, de continuer quand on se prend un caramel magistral.

 

Faire simple et chacun à sa place

“Aujourd’hui on va jouer simple : les avants devant, les arrières derrière !”

Ou le bon sens près de chez vous. Le bon sens et la simplicité (des stratégies en particulier, mais aussi de l’analyse, de la vision, du choix des étapes, des partenaires, des interactions) font des miracles lorsqu’il s’agit d’avancer sur un projet. Plus les tactiques, plans d’action et relations sont alambiqués, compliqués, plus l’affaire risque le contre et/ou la boîte à gifles plutôt que la cocotte gagnante. C’est un peu comme la chistera : quand c’est réussi, on hurle au génie, mais quand ça foire, on trouve que c’était pas malin-malin et même un peu risqué, cette tentative. “En rugby, ne me parlez pas de génie. Quand j’entends prononcer ce mot, je pense lessive » disait Philippe Dintrans. Ne cherchons donc pas le cadeau Bonux, au fond d’une boîte en carton: allons chercher ce que nous savons déjà faire.

Et en termes de management de notre petite équipe interne (besoins, désirs, valeurs, talents, aptitudes), c’est la même chose : faire simple en mettant chacun à sa place, que chacun serve les autres en s’exprimant pleinement. “En rugby, il y a ceux qui jouent du piano et ceux qui les déménagent” disait Pierre Danos. Une solide connaissance de soi permet de savoir sur quel talent, quelle capacité, quelle compétence s’appuyer en fonction de l’action à mener. Faire simple, c’est aussi mettre ses ressources là où elles seront les plus efficaces. Et de développer l’esprit d’équipe pour que tout le monde coopère sans égo et avec ardeur et plaisir. De même si la montagne que vous avez décidé de dézinguer implique de le faire à plusieurs. Voir:

créer du lien pour favoriser l'engagement

 

 

Bonnes excuses vs action

“Vous êtes venus pour brouter ou pour jouer au rugby ?” (A. Domenech à l’équipe anglaise qui se plaignait de la qualité de la pelouse. )

De bonnes excuses en stratégies d’évitement, on peut rapidement devenir un spécialiste du détour par la cave où l’on remise prudemment le sac à dos histoire de ne pas se mouiller la liquette sur des pentes qu’on imagine savonneuses sans même y avoir posé un demi-crampon. Alors tout ce qui nous freine, nous gêne, nous entrave, nous pousse à procrastiner plutôt qu’à agir mérite d’être observé, exploré, traité pour sortir de l’ornière: les montagnes, ça ne se renverse pas depuis les vestiaires.

Maurice Prat affirmait que “Le vrai courage, c’est celui de tenter des coups.”

Bref: quand faut y aller faut y aller. Contrairement à ce qu’une pelleté de bonimenteurs voudraient nous faire croire, une montagne ne se renverse pas par la pensée, même quand la Force est avec nous. Avoir des idées, c’est bien, et c’est même indispensable. Mais il y a un moment où il va bien être nécessaire de se retrousser les manches et de mettre les mains dans le cambouis, de se faire confiance, d’expérimenter, de choisir le côté sur lequel ouvrir, de faire avancer le ballon. Voir aussi:

 

French ou pas, le flair

La professionnalisation du rugby a enterré définitivement le French Flair. Qualifié de dépassé par le très cérébral Chabal, l’épitaphe du French flair a été signé par cet article de Slate pendant la coupe du monde 2011, juste avant le match contre l’Angleterre. Que les bleus ont gagnés avec un panache so French, en bons coqs de combat.

Pourtant, ce “bazar magnifique” de débrouillardise improvisée avait ses vertus. Pour Serge Blanco, c’était même un moyen de rebondir lorsqu’on a pas été à la hauteur de l’entreprise “On est capable de créer des situations où, dans la mesure où l’on croit que tout est perdu, on arrive à renverser la situation grâce à ça”. Pierre Villepreux quant à lui y voyait une “intelligence situationnelle, cette capacité à lire le jeu, s’adapter et prendre la responsabilité d’un risque potentiellement payant.”

Quoi qu’il en soit, mort ou pas mort, flair ou pas flair, et en vertu du principe que dans les vieux pots on continue à faire de soupes tout à fait acceptables, c’est justement parce que le rugby moderne cherche à éviter l’imprévisible et à standardiser son jeu que la spontanéité et la débrouillardise continuent de faire des merveilles: feintes, crochets et biscouettes sont plus spectaculaires, plus marrants et souvent plus efficaces que le jeu d’experts comptables** germaniques qu’on cherche de plus en plus à nous servir. Alors sus à nos montagnes, avec toute notre débrouillardise, nos aptitudes à la résolution de problème, notre inventivité et laissons s’exprimer nos tripes:

principes rugby atteindre objectifs

 

Nos montagnes d’antan

Nos odyssées professionnelles en ont vu, des montagnes de toutes tailles renversées par nos bons soins. Nous avons tous remporté d’improbables victoires parce que nous y avons mis du coeur et du talent, parce que nous y avons mis nos tripes: dépassé une véritable épreuve, mené une reconversion un brin rock’n’roll, obtenu contre toute attente une promotion très convoitée, concrétisé ses ambitions malgré un parcours atypique, fait vivre un projet un peu fou. Ou pris la parole avec succès malgré notre timidité, eu une idée originale et efficace pour boucler un dossier délicat ou sortir d’une impasse. Bref, nul besoin de ressembler à Duseautoir   pour renverser toutes sortes de montagnes: “Même quand on a un petit cerveau, un petit cœur et de petites couilles, quand on les mets ensemble çà fait un bon paquet!” Voilà qui, à défaut d’être élégant, a le mérite d’être clair: nos petites qualités, ressources et compétences mises bout à bout, on tient le bon bout.

Nous pouvons tirer beaucoup d’enseignement de nos réussites, pourtant, nous capitalisons parfois peu dessus. Une fois le champagne avalé, il est de bon ton de ne pas s’apesantir sur l’affaire. En réalité, il ne s’agit évidemment pas de se nourrir l’égo au beurre demi-sel, mais d’analyser nos mécanismes de réussite de façon à les transposer, littéralement ou symboliquement, lorsque nous entreprenons autre chose.

Ces montagnes que vous avez réduit en miettes: comment vous y êtes-vous pris?
De quels talents, quelles ressources internes, quelles qualités avez-vous fait preuve?
De quoi sont fait les environnements (physiques, organisationnels, relationnels) qui favorisent vos réussites?
Comment mettre tous es éléments au service de votre projet?

Voir aussi:

 

 

Management: créer les conditions de l'engagement* Quoi de mieux pour savourer le truculent monde du rugby que la BD à l’humour implacable Les Rugbymen (Editions Bamboo)

** Celle-là, je l’ai piquée à Fabrice Drouelle

 

Crédit photo:

Merelize (K2)
Maria Ly (Pelle et seau)
Pierre-Yves Beaudouin / Wikimedia Commons / CC-BY-SA-3.0 (A. Benazzi)

 

 

Aller plus loin

Vous voulez construire, développer, renforcer cet optimisme combatif, dynamique et serein à la fois, et surtout propice à la concrétisation de vos aspirations professionnelles? Ithaque est là pour ça😉

4 Comments

  • chabanon dit :

    Sylvaine,

    Je n’ai pas lu ce post et instinctivement je me dis que Cardiff ne doit pas être un terrain d’expérimentation productif pour le XV de France en ce moment.
    Bon, promis je vais lire cet article dans la journée et me laisser d’abord imprégner par l’optimisme ambiant de l’ovalie tricolore 😉

    Christian

  • chabanon dit :

    Ca y est, j’ai lu le post.
    Oui, oui et encore oui. Je suis à 100 % d’accord avec vous.
    Et pour prolonger votre raisonnement, je conseille encore et encore vos posts et toute lecture qui aide à développer l’entreprise individuelle à son service ainsi qu’à celui du collectif.
    Votre blog est une ode à l’envie et à l’amour de faire bien au service de tous.
    Confiance et respect, deux qualités trop souvent galvaudées et détournées de leur valeur.
    Et oui, c’est ce petit brin de folie qui donne du sel à la vie.

    Encore merci.

    Christian

  • Jean claude Metayer dit :

    Comment grimper l’everest n’est rien d’autre que du narcissisme ? Allez donc vers un beau sommet apres des heures de lutte en compagnie de vos amis . Ce qui se passe a ce moment là n’a rien de narcissique, c’est de la poésie pure.

    • Mais justement, un beau sommet (j’en ai grimpé de nombreux) c’est un beau sommet! Se mettre à la queue-leu-leu sur les chemins de l’Everest, en mode individualiste et non en équipe (le récits sont sinistrement édifiants) en laissant les morts et les poubelles derrière soi, juste pour pouvoir dire “j’ai fait l’Everest”, ce n’est pas grimper un beau sommet;)) C’est en tout cas ce que signifiait cet exemple

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