Epreuves et cadeaux de la vie

Sylvaine Pascual – Publié dans Regards croisés

 

 

Je suis tombée sur cette vidéo de Stacy Kramer qui, dans le cadre du TED, raconte sa propre histoire, et conclue que lorsqu’on est confronté à une épreuve de la vie, on devrait considérer que c’est peut-être un cadeau de la vie. Et je ne suis pas d’accord…

 

 

On peut être tentés d’encenser Stacey Kramer. Cependant, même si en tant que personne elle force l’admiration dans sa manière de considérer l’épreuve qu’elle a traversée, c’est son discours qui me laisse perplexe. Le slogan du TED, dans le cadre duquel elle s’est exprimée, est “ideas worth spreading”, des idées qui méritent d’être répandues. Et bien je suis moyennement convaincue que le beau discours de Stacey Kramer en fasse partie.

 

Je vous laisse regarder son intervention (sous-titres français disponibles) et on en parle après.

 

 

 

 

Bravo Stacey Kramer…

 

Oui, on peut applaudir Stacey Kramer et admirer son regard sur l’épreuve qu’elle a traversée. Oui, elle est formidable, épatante blablabla… Je suis d’ailleurs la première à encourager la recherche du cadeau de la vie dans les épreuves que nous traversons.

 

En effet, on peut tirer de merveilleux enseignements de ce type d’épreuve, et on constate souvent que ceux qui ont survécu à des maladies ou accidents sont davantage capables de vivre dans le présent et d’en retirer tous les précieux bénéfices. Que leur sens des priorités s’est modifié par s’axer sur l’essentiel.

Cependant ce discours me paraît plus du domaine du marketing personnel qu’autre chose.

 

Je reste dubitative face au message que veut transmettre Stacey Kramer. “The next time you face something that’s unexpected, unwanted, and uncertain, consider that it just may be a gift.” En français “la prochaine fois que vous à confronté à quelque chose d’inattendu, de non désiré et à l’issue incertaine, pensez que c’est peut-être un cadeau”.

 

 

 

… et remballez vos discours!

 

Je trouve qu’il y a une certaine hypocrisie dans ce discours, directement liée à la pensée positive version américanerie béate. Car lorsqu’on se retrouve face à une épreuve terrible comme un tumeur au cerveau, la réalité ne correspond pas nécessairement à ce qu’elle décrit.

  • Non, des épreuves d’une telle ampleur ne rapprochent pas toujours de sa famille.
  • Non, les amis d’antan ne vont pas nécessairement affluer à votre chevet (peut-être tout simplement parce que vous n’aurez pas particulièrement envie de les contacter pour leur raconter vos malheurs)
  • Non, vous ne serez pas forcément “submergé(e) par l’adoration et l’admiration” de personnes qui vont vous entourer d’amour et de reconnaissance “comme jamais auparavant”.
  • Non, tout le monde ne recevra pas des fleurs par camions entiers..
  • Non, tout le monde n’a pas 55000 dollars à dépenser dans cette très bonne affaire etc..

 

Et le plus hypocrite de tout ce beau discours: 8 semaines pour se débarrasser d’une tumeur au cerveau n’est pas très représentatif du temps moyen nécessaire pour surmonter ou dépasser une tumeur maligne, ou tout autre sorte de problème de santé qui met la vie en danger, ou la modifier profondément. Alors effectivement, Stacey Kramer peut le considérer comme des vacances.

 

  • Dans quelle mesure ce discours reflète-t-il la réalité de ce qu’elle a ressenti pendant l’épreuve?
  • Dans quelle mesure ce discours reflète-t-il la réalité de ce que vous ou moi ressentirions pendant une telle épreuve? De ce que vous et moi traverserions réellement?

Car Stacey Kramer n’hésite pas une seconde à généraliser son expérience personnelle à tous “vous aurez ci, il vous arrivera ça”, ce qui est d’une malhonnêteté intellectuelle fatigante.

 

Il faudrait donc fouiner dans les recoin de l’épreuve pour en trouver le cadeau. Autant je suis d’accord avec l’idée qu’on peut, a posteriori, se retourner et regarder les épreuves du passé comme structurantes, autant je suis persuadée qu’on peut, petit à petit, laisser s’effacer les traces du passé et faire preuve de résilience, autant  je suis agacée par le fait qu’on puisse expliquer que c’est la marche à suivre au moment où on est confronté à l’épreuve en question, ce qui me paraît un bon moyen de se mettre une pression inutile et culpabilisante avec une démarche contreproductive en termes de bien-être.

 

 

 

Le culte de la culpabilité

 

La peur, l’angoisse terrible d’un avenir incertain, la colère et la frustration face à une situation qu’on ne maîtrise pas sont légitimes, qu’il est indispensable d’écouter et de pouvoir exprimer pour parvenir à les apprivoiser et les dépasser.  Or ce genre de discours a tendance à les nier pour leur préférer la leçon de morale: voilà comment il FAUT réagir, sous peine d’être coupable, coupable de ne pas être fort, de ne pas être courageux, de ne pas être merveilleux, coupable de ne pas être Stacey Kramer.

 

Or je crois que l’ampleur d’une épreuve est directement liée à la perception qu’on en a, et qu’on fait ce qu’on peut avec nos perceptions et les émotions qu’elles déclenchent. Et que nous n’avons aucune raison de céder au culte de la culpabilité transmis par les champions de la pensée positive. Ce type de discours rappelle les clichés auxquels sont parfois confrontés les malades et les accidentés, un brin éloignés du soutien et de l’admiration fervente dont elle parle. Et- qui font que les accidentés de la vie se retrouvent à gérer d’une part leur propre épreuve, et d’autre part l’absence d’empathie de leurs contemporains pleins de bonnes intentions:

  • Tu ne peux plus marcher? C’est pas grave, tu pourras bien faire autre chose.
  • Tu as un cancer? Telle ou telle personnalité s’est remise de la même chose en six mois, il n’y a donc pas de raison que ça ne soit pas pareil pour toi.

 

 

Il y a quelques années, j’ai rencontré une formidable jeune femme qui, à 24 ans, avait perdu deux bras et une jambe dans un accident de voiture. Stacey Kramer, allez donc lui raconter que c’est peut-être un cadeau de la vie. Cette leçon à 55000 dollars n’a à mes yeux qu’une valeur monétaire et marketing pour celui qui peut aller le vendre dans des conférences. Rendons-là à leur propriétaire et accordons-nous le droit de ne pas être Stacey Kramer.

 

 

Et vous, comment réagissez-vous face à ce discours?

 

 

 

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10 Comments

  • 100% d’accord avec votre point de vue ; j’admire votre aptitude à cultiver l’euphémisme !

  • Cécile dit :

    Bonjour,

    Je trouve aussi son discours plein d’hypocrisie, au point de douter qu’elle ait traverser réellement toutes ses épreuves…

    Pour ma part j’ai vécu de très près la maladie de ma jeune maman, puis sa mort. A cette époque, dans le dit présent, il m’était totalement impossible de voir “le cadeau”. Et les personnes qui essayaient de me le faire voir me paraissaient terriblement cruelles. Je rageais à l’écoute des “la vie vous fait passer par cette épreuve pour que vous grandissiez”.

    5 ans après, j’ai grandi, c’est évident. Mais je rendrais très certainement “le cadeau” pour récupérer ma maman! Quitte à rester loin de certaines valeurs, de l’essentiel…

    Quand au flot d’accompagnement qui est cité… il me laisse perplexe. Dans notre cas, la plupart des amis, collègues, familles ont fuit. Je crois, de peur que la douleur soit contagieuse…

    Effectivement je pense qu’il y a de forte change pour que cette personne face la promo d’un prochain livre ou autre…

    • Sylvaine Pascual dit :

      Effectivement, les pseudos compatissants qui cherchent à vous faire positiver pour s’épargner votre peine peuvent être assez fatigants. D’autre part, votre expérience des fuyards est certainement le lot du plus grand nombre…

  • Edith dit :

    Bonjour,

     

    Je n’ai pas regardé la vidéo, je n’ai lu que ce qu’en dit Sylvaine.

    Je voudrais juste apporter un témoignage, peut-être légèrement décalé par rapport au sujet précis mais…

    Voilà : mardi soir, j’ai perdu mon compagnon, l’homme de ma vie, dont l’amour m’a portée pendant de nombreuses années. Vivre sans lui, je ne sais pas comment je vais faire ; ma peine et ma douleur sont immenses. Etre obligée de mettre derrière tous les gestes, toutes les habitudes, tous les mots, toutes les tendresses que nous avions l’un pour l’aure, ensemble, les “plus jamais” représente pour moi une vraie torture, quand encore j’arrive à réaliser ce que ça représente.

    Pourtant, au milieu de ma souffrance, je reconnais qu’en même temps que cette abomination qu’elle m’a réservée, la vie m’a fait plusieurs cadeaux

    – d’abord, j’ai l’immense chance de dire au revoir à mon amour une heure avant son décès (il était parfaitement conscient, nous avons pu échanger et lui savait…)

    – ensuite, s’il avait survécu, rien ne dit qu’il ne serait pas revenu de l’hôpital dégradé, dépendant, ce qu’il aurait eu en horreur,

    – enfin, avant de me connaître, l’homme de ma vie avait fondé une autre famille qui, en grande partie, m’avait rejetée, moi et notre fille. Par suite de tracasseries administratives, nous avons dû nous rencontrer, ses autres enfants, moi et notre fille. Et ça a été un nouveau cadeau : ils ont tous adopté ma fille (21 ans) comme leur petite soeur et m’ont dit à plusieurs reprises que la seule chose qui comptait pour eux aujourd’hui, c’est que leur père ait été heureux avec moi. Et ces paroles là, pour moi, ont plus de valeur qu’un énorme tas d’or.

     

    Voilà ! Alors, non, la mort de celui que j’aimais, que j’aime toujours et pour encore longtemps n’est pas un cadeau. Non, vraiment pas. Mais dans le même temps la vie m’a offert des moments chaleureux, qui ressemblent presque à des cadeaux. Aujourd’hui, ces petits, tout petit, morceaux de ciel bleu me soutiennent et m’aident à porter ma peine. Encore faillait-il que j’accepte de les voir comme tel au lieu de me recroqueviller sur mon chagrin.

     

    Ce n’est pas une leçon mais juste un témoignage. Et j’imagine que nombreux sont ceux qui, dans des circonstances identiques, n’ont pas eu les mêmes chances, et n’ont trouvé aucun réconfort, aucune compensation à leur douleur.

    Ma compassion leur est acquise.

     

    Edith

    • Sylvaine Pascual dit :

      Merci pour ce très beau témoignage. Il y a certainement une aptitude bien plus significative dans la capacité à reconnaître des éléments positifs, si ténus soient-ils, au milieu d’une épreuve terrible et qui participent de la possibilité de le surmonter, à long terme, que de s’acharner à chercher en vain des verres à moitié pleins qui ont le goût amer de l’obligation et de la culpabilisation.

      Encore merci et toutes mes pensées vous accompagnent:)

    • Merci pour vos témoignages, je suis en accord avec vous. Je vous embrasse, Lionel

  • Bonjour Sylvaine … je suis tellement d’accord avec toi , au point que j’étais en train de rédiger un article sur ce thème et qu’au final, faisant ma feignante, j’ai mis le mien + le tien sur celui de la pensée positive – revers de médaille. A la différence près que j’ai été dénoncée ( jai du tomber sur une Stacey Kramer très très susceptible ! ) comme article indésirable avec interdiction de publier dans aucun groupe auxquels j’appartiens …. la pensée positive deviendrait elle une secte de surcroît ? Merci en tout cas de ces bons bols d’air frais !
    Article : Sois Positif et tais-toi !

    Je viens de vivre une expérience intéressante au milieu de personnes adorables certes, mais bourrées de pseudo pensée positives (très américain comme attitude).
    Ce qui permet d’éviter tout débat de fond et d’esprit critique constructif (en l’espèce il s’agissait d’un texte et d’un clip vidéo).
    Non, le texte n’est pas bon – et ce n’est pas “J’accuse” d’Emile ZOLA, loin s’en faut
    Non la chanson n’est pas appropriée – ” Faire la guerre à la guerre” ? pour parler de Paix ? drôle de choix … et la chanteuse n’est pas Céline Dion … à ses débuts
    Non, les images ne sont pas … enfin, elles ont le mérite d’exister.

    Ces pensées positives “coûte que coûte” qu’il eut été de bon ton que j’affectionne nourrissent l’ auto-suffisance de ” son oeuvre ” , la soumission à qui parle le plus fort, un manque cruel de recul et anesthésie le libre-arbitre.

    Totalement dans l’air du temps technologique qui n’a pas anticipé le psychologique de ce que mettre en scène voulait dire – avec son lot de conséquences – (s’exposer, c’est s’exposer à la critique), elles entretiennent un narcissisme malsain où les likes et les cœurs deviennent la norme, la critique une agression.

    Prétendre vouloir changer le monde sans viser l’ excellence collective , avec son lot de frictions, de désaccords, d’honnêteté, d’échanges contradictoires, et sans faire preuve d’ouverture et d’humilité me parait être un vœu pieux.

    On se retrouvera dans 10 ans j’imagine pour constater que tout cela n’aura servi à rien (en maudissant tous ces cristies d’endormis).

    Autrefois, nous avions droit à ” sois belle et tais-toi ”
    Aujourd’hui, on tente de nous bâillonner avec des ” sois positif et tais- toi ! ”

    En tant que coach, je ne peux accepter que sous couvert de pensées positives, les rapports humains en soient arrivés à un tel déni de ce que nous sommes, ce que nous ressentons, ce que nous souhaitons pour nous et avec les autres, ce que nous vivons.

    Hier, on me sollicitait pour des problèmes extérieurs principalement.

    Aujourd’hui, la demande s’est déplacée :
    Ais – je le DROIT de ressentir tel ou tel sentiment ?
    Suis- je bien légitime de percevoir un inconfort ? Est ce que ce n’est pas moi qui aurait un problème ? Est-ce que je ne serais pas en train de juger là ? ( pas bien, forcément !)

    Quelle tristesse ! Arrêtons enfin ! Rassurer : Cela s’appelle Penser. Réfléchir. Ecouter son ressenti. Tout va bien.

    Ce manque de respect élémentaire à notre intégrité est à mon sens la source de bien des malentendus, voire de souffrances relationnelles et ne nous rend pas heureux.

    Revenir à des rapports humains sains en refusant toute injonction d’aucune sorte est déjà une source de liberté individuelle. Ce que je tente, avec vous, de restaurer.
    (J ‘étais en train de préparer un papier sur le sujet mais comme ma copine Sylvaine l’a déjà rédigé, je fais ma feignante et je vous le propose tel quel ) http://www.ithaquecoaching.com/…/pensee-positive-le-revers-…

    • “Autrefois, nous avions droit à ” sois belle et tais-toi ”
      Aujourd’hui, on tente de nous bâillonner avec des ” sois positif et tais- toi ! ”” Très bon!
      Merci Corine pour ce joli plaidoyer pour la pensée… et pour le partage;)

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