Quand la reconversion s’enlise (1): étude d’un cas concret

La procrastination n’a rien à voir avec la fainéantise ou un problème d’organisation. Nous en avons déjà parlé, il y a de nombreuses raisons de se mettre à procrastiner en reconversion. C’est le cas de Lila, 35 ans, qui a créé son entreprise il y a plusieurs mois et s’est retrouvée bloquée en cours de route, malgré son enthousiasme et son dynamisme. 

quand la procrastination faitn s'enliser un projet de reconversion, il est nécessaire de l'écouter

La reconversion n’est pas un long fleuve tranquille

Souvent, les témoignages de reconversion qu’on peut lire dans la presse sont des formats trop courts pour s’arrêter longuement sur les difficultés rencontrées, les détours sur le chemin. Et quand il s’agit de création d’entreprise, nous sommes davantage abreuvés des success stories d’entrepreneurs hyperactifs et de startups en voie de licornisation que des déboires, doutes, erreurs et difficultés de quidams en plein questionnement. Bref, beaucoup donnent l’impression qu’en trois coup de cuillère à pot, c’était plié, réussite assurée. Mais la réalité n’est pas souvent un conte de fées. C’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de vous raconter l’histoire de Lila,

L’un des intérêts du cas de Lila est de montrer combien, lorsque l’itinéraire de reconversion tombe sur un os, la procrastination peut devenir forte, invalidante et source d’une grande souffrance, y compris chez des personnes dynamiques, déterminées et entreprenantes.

Il montre aussi qu’un parcours de reconversion et/ou création d’entreprise (et le coaching qui va parfois avec), ce n’est pas un parcours linéaire et fluide, en progression constante sur un chemin pavé de pétales de roses vers l’état désiré qui en a motivé la demande: c’est plutôt un chemin cahoteux fait de hauts de bas, d’avancées et de stagnation, parfois de déceptions, de doutes, de marches arrière, d’itinéraires bis, d’obstacles à franchir. Bref: le changement de métier ne coule pas de source, n’est pas un long fleuve tranquille sur lequel on canote en toute sérénité et nécessite de prendre le temps avant de tout changer du jour au lendemain.

On met 5 ans é réussir du jour au lendemain

Constat de blocage

Lorsque Lila m’a contactée, elle cumulait les émotions pénibles associées à la procrastination: en colère contre elle-même, culpabilisant de se voir passive, fatiguée de ne pas trouver de solution, frustrée de ne pas voir avancer le projet qui lui tenait tellement à cœur, inquiète à l’idée qu’il puisse ne pas aboutir.

Après quelques années éprouvantes dans l’audit, Lila s’est intéressée à l’accompagnement des entrepreneuses, y voyant là un secteur porteur et en mouvement. Pour elle, aider les femmes à faire fleurir leurs startups avait du sens. Après s’être formée au coaching et suivi une formation à l’entrepreneuriat, il était naturellement temps de se lancer.

« J’ai créé mon entreprise il y a un an, c’est un projet très motivant, une activité qui me passionne. Je l’ai mûrement réfléchi, étudié et préparé sous tous les angles. Pourtant depuis quelques mois, je repousse en permanence tout ce que je souhaiterais mettre en place : lancer mon site internet, développer mes réseaux, définir une stratégie commerciale, prospecter, animer des réunions de présentation…

Je me sens comme enlisée dans des sables mouvants. Depuis des mois tout ce que j’essaie pour en sortir ne fait que m’y enfoncer plus profondément…

Aujourd’hui je me sens impuissante, dépassée et je suis épuisée, alors que RIEN n’a avancé ! Cela me désespère et mon niveau de stress augmente chaque jour. Voir le temps qui passe, les jours qui défilent et ma situation comme immobilisée me remplit de panique et commence à avoir des impacts physiques sur ma vie : mal-être quotidien, sommeil agité, mon mental qui tourne en boucle de moins en moins d’énergie, tout me « coûte », le moindre petit effort m’épuise, je n’ai plus envie de voir des amis, je me replie sur moi-même, je crois que je commence à déprimer… »

Reconversion: lébérer la pensée des injonctions

Procrastination et techniques insuffisantes

Comme Lila n’a ni les deux pieds dans le même sabot, ni la boîte à neurones en rideau, elle s’est mise à réfléchir sur elle-même et à tenter d’identifier les causes de la procrastination pour y remédier. Mais dans un premier temps, ce sont des causes paravents qui se sont manifestées (l’arbre qui cache la forêt, en d’autres termes), la menant sur de fauses pistes dans lesquelles la procrastination était devenue l’enemie à abattre. Rappelons au passage que la procrastination n’est pas un problème de gestion du temps.

« Et c’est ça le plus frustrant, depuis des mois je ne suis jamais restée spectatrice inerte de la situation. J’ai essayé plein de choses et constater les échecs successifs, malgré mon implication, rajoutent à ma colère. J’ai d’abord identifié que j’avais un souci dans ma gestion du temps. Sur les conseils d’un expert de ce domaine, j’ai commencé par une analyse précise et méticuleuse de ma façon de faire = chronométrer pendant 3 semaines, tout ce que je faisais dans une journée : chaque tache effectuée, du réveil au coucher.

Ca a été un travail assommant, et j’ai tenu car j’avais vraiment la volonté que ça s’améliore. Bilan final : des prises de conscience de mes points noirs certes, de ma volonté d’en faire trop en un temps restreint, donc impossible techniquement. J’ai tenté la planification au millimètre, pour tous les domaines de ma vie, m’imposer des horaires, la gestion de ma liste de tâche avec matrice Eisenhower (urgent/important), et tout cela n’a fait que rajouter de la pression. Je voyais encore plus précisément mes échecs, et les taches que je repoussais à vue d’œil ! Alors je me suis mise à la méditation, qui m’a fait beaucoup de bien, mais qui n’a pas eu raison de mon stress ou de ma procrastination.

J’ai aussi travaillé sur l’organisation matérielle, sur le perfectionnisme qui jusqu’ici m’avait surtout poussée à aimer bien faire. Me sentir mieux dans mon environnement de travail, dans mon bureau. Améliorer l’espace, l’organisation de mes dossiers, définir des créneaux horaires fixes pour certaines taches, accepter de bâcler certaines choses. Rien n’y a fait. 

Pendant cette période j’avais un emploi à mi-temps, correspondant à mon ancien métier, je l’avais gardé par sécurité, le temps de lancer mon activité. Et j’ai fini par croire que c’était ce qui me freinait, voir ce qui bloquait mon développement. Donc j’ai décidé de prendre le risque, et je l’ai arrêté. 2 mois plus tard, constatant que la situation était toujours identique, je suis vraiment tombée de haut…»

La procrasination est un système de protection

Quand on se trompe d’ennemi à force de culpabilité

Très culpabilisée Lila en était arrivée à se refuser des plaisirs qu’elle estimait immérités, puisqu’elle “ne faisait rien”. Elle se fixait des récompenses en fonction d’objectifs qu’elle considérait raisonnables mais qu’elle ne parvenait pas à atteindre. A focaliser uniquement sur la procrastination, à la considérer comme l’ennemie à combattre elle l’amplifiait sans s’en rendre compte. Vous l’aurez compris, au bord du burnout, elle avait surtout besoin d’arrêter de s’escrimer à “lutter contre” une procrastination qui lui parlait essentiellement de son projet et non pas de ses propres manquements ou inaptitudes, d’une quelconque incapacité à gérer son temps et encore moins d’un perfectionnisme qui aurait bon dos, explications classiques et le plus souvent largement erronées des blocages procrastinateurs:

Mise au vert

Comment Lila est-elle sortie de cette ornière? Comment a-t-elle dépassé la procrastination et repris les rênes de son projet? Nous le verrons au fur et à mesure d’une série de billets. Pour le moment, il s’agissait surtout de s’assurer qu’elle n’allait pas s’effondrer.

A l’issue de la séance préalable, il est apparu qu’au bord de l’épuisement émotionnel, Lila avait avant tout besoin de se reposer des monceaux d’obligations et de jugements qu’elle s’imposait et surtout pas de s’acharner à trouver un autre moyen de partir en croisade contre une procrastination qui avait certainement des tas de choses à lui dire, mais qu’elle n’était pas encore en mesure d’entendre tant qu’elle se bagarrait contre elle. Il était temps de déposer les armes et de se reposer avant de s’asseoir à la table des négociations.

Evidemment, ce n’était pas une décision facile de partir se mettre les méninges au vert alors qu’au bout d’un an d’existence, son entreprise n’avait réalisé qu’un chiffre d’affaires minime qui ne lui laissait plus beaucoup de temps avant de jeter l’éponge.

Mais comment réfléchir sereinement au bord du gouffre? Malgré les multiples signes de sa chronique d’un burnout annoncé,  Lila avait bien du mal à regarder les choses en face, convaincue qu’elle “ne faisait rien” et que les gens qui ne font rien ne peuvent pas – ou n’ont pas le droit – d’être fatigués. Devant la multiplication des signes avant-coureurs  dont elle n’avait pas vraiment conscience avant de les verbaliser, Lila a fini par accepter de changer complètement de façon de s’y prendre.  En commençant par s’accorder une quinzaine de jours décontractés, loin de son projet, histoire de prendre un peu de distance avec lui, de se mettre, littéralement, en vacances de lui. Elle est partie dans la Drôme, où elle a pu renouer avec la vraie glandouille décomplexée, les plaisirs simples entre amis et surtout, beaucoup beaucoup de bains de nature. Nous nous étions mises d’accord sur une seule action à mener: s’autoriser à penser à ce qu’elle aime, ce qui l’intéresse, à ce qui lui procure du plaisir, en laissant son esprit vagabonder au gré de ses balades.

Quand le burnout pointe le bout de son nez, mieux vaut agir avant de devenir chèvre.

Et pour bon nombre d’entre nous, se ressourcer, permettre  son cerveau de récupérer et de retrouver l’énergie nécessaire à sa réflexion et à sa créativité passe par le contact avec la nature:

Se mettre au vert pour faciliter la créativité

La suite du parcours de Lila dans l’épisode 2:


Voir aussi

Faut-il vraiment se débarrasser de la procrastination?

Accueillir la procrastination

1001 procrastinations (Interview de Sylvaine Pascual sur France 2)

Procrastination, je ne te hais point;)

Procrastination et estime de soi

#HackHR : Balade médiévale au pays de la prévention du stress

La forêt, merveilleux antistress et source d’inspiration


Aller plus loin

Vous voulez explorer votre désir de reconversion, de création d’entreprise et élaborer un projet en harmonie avec vos aspirations, vos désirs et appétences? Ithaque vous propose son accompagnement unique: Heureux qui comme Ulysse. Pour tous renseignements, contactez Sylvaine Pascual

3 Comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *