Plaisir de travailler: la place du job crafting dans le management

Le job crafting, qui est la façon dont un salarié modifie son poste en fonction de ses valeurs et aspirations, est vecteur de bien-être au travail, de satisfaction et de performance. Quels liens avec le management ? Peut-il devenir une manière de manager ? Quelle place lui accorder dans les organisations ? Quelques éléments de réponse pour gagner en plaisir de travailler

Job crafting et bien-être des salariés

La question du bien-être des salariés devient cruciale en cette période de pandémie où les conditions de travail et de vie ont été largement bousculées et ont laissé des traces sur les salariés : beaucoup d’efforts fournis, beaucoup de fatigue, de stress, ajoutés aux incertitudes économiques.

Avec l’explosion du travail à distance, et en dépit du fait que la période a démontré beaucoup d’engagement de la part des salariés qui se sont retrouvés en télétravail forcé, la tentation est grande, par crainte d’un management à distance qui perdrait le contrôle, de recourir à davantage de surveillance. Ainsi on voit fleurir de parfaites aberrations managériales, comme ces lunettes connectées qui surveillent votre productivité, vendues avec toutes les bonnes intentions d’usage.

Mais à l’inverse, il y a plus réjouissant. Des publications de plus en plus nombreuses encouragent à regarder du côté de job crafting en raison de ses multiples bénéfices et y compris pour permettre aux salariés de renouer avec le plaisir de travailler. La place du job crafting au sein du management est un sujet que je n’aborde pas dans mon livre, parce qu’il s’adresse avant tout à chaque travailleur, indépendant, salarié ou manager pour lui proposer des pistes de réflexions quant à son propre plaisir de travailler. Il pourra cependant donner de nombreuses idées aux managers intéressés et  je saisis l’occasion pour aborder la question.

 

Le job crafting n’est pas un outil de management

Le job crafting n’est ni un Nième outil de management, ni une Nième technique d’accompagnement. C’est le mot qu’ont mis dessus les chercheurs qui l’ont observé chez les salariés, dans leur façon de s’approprier leur job et de la façonner à leur manière. Le job crafting, ce sont donc les modifications que les salariés apportent à leur quotidien professionnel, de leur propre initiative et parfois sans en informer la hiérarchie. Pour rappel, il y a trois axes de job crafting, auxquelles on peut ajouter celui des conditions de travail, qui est relativement transverse:

– Le contenu du travail 

– Les relations de travail 

– La perception du travail

Pour en savoir plus, voir:

A titre d’exemple, c’est en pratiquant le job crafting du contenu du travail que des indépendants et des salariés se sont mis à hybrider leurs compétences métiers et leur habileté sur les réseaux sociaux. Ce qui a ensuite fait émerger le métier de community manager.

On imagine parfaitement les cabinets de conseil s’emparer de l’affaire et modéliser un pseudo job crafting NN (nouvelles normes, voyez), en sortant toute la panoplie des arguments de performance et de bien-être. Il deviendrait alors un simple « outil » moyennement efficace de plus, proposant une certaine flexibilité individuelle aux salariés, dans des cadres soigneusement rigides. En soi, ce ne serait pas un mal que les salariés bénéficient d’un peu d’autonomie et de flexibilité dans leur organisation, par exemple. En revanche, normaliser le job crafting, ce serait le dépouiller de sa créativité, de sa singularité, donc de son pouvoir d’innovation et ainsi le dénaturer. En d’autres termes, ce ne serait plus du job crafting, mais des dispositifs de flexibilité RH.

Même s’il est de plus en plus évoqué dans des publications managériales, il reste et doit rester un mouvement bottom up, comme on dit dans la novlangue corporate en mal de traduction, à l’initiative du salarié, en fonction de ses désirs et aspirations. Quels liens alors entre job crafting et management?

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Job crafting et performance

Du point de vue des organisations, l’intérêt pour le job crafting tient dans le gain de performance et de productivité. Dès qu’on parle de management, malheureusement, le culte de la (sur)performance n’est pas loin. Quelle immense faillite sociétale qu’un monde qui ne s’intéresse pas aux êtres humains qui y œuvrent, autrement qu’en cherchant à en extraire jusqu’à la dernière goutte de productivité, jusqu’à épuisement si nécessaire. Evidemment, le conservatisme soumis va me rétorquer qu’on « n’est pas dans le monde des bisounours » et qu’il « faut bien que les entreprises vivent ». Comme dirait Patrick Viveret, mieux vaut être bisounours que brutaclaque d’une part et d’autre part, il est sans doute grand temps que les organisations se réinventent au lieu de nous sortir les mêmes rengaines, car les enjeux de toutes sortes de notre époque démontrent à quel point il y a un manque lamentable d’ambition que de se limiter à celle de gagner plus.

Alors oui, accessoirement, les salariés qui pratiquent le job crafting sont plus performants, donc il peut bénéficier au management. Mais ses bénéfices ne s’arrêtent pas là et le gain d’efficacité m’intéresse essentiellement parce que ceux qui le pratiquent sont plus heureux d’une part, et parce que le temps gagné par l’amélioration de la productivité, ils peuvent le réinvestir à leur guise, y compris dans leurs loisirs, leur vie personnelle, une glandouille décomplexée, tout ce qui chantera à leurs oreilles autre chose que la balade du super-héros de la productivité.

Des bénéfices bien au delà de la productivité

Les bénéfices du job crafting sont tels que de multiples publications encouragent aujourd’hui les entreprises à s’y intéresser, y compris en France ou Les Echos s’en font un écho enthousiaste, justement, depuis quelques semaines, même si ça reste timide puisque selon eux il doit se faire « en toute concertation » – Le management contrôlant aurait-il de beaux jours devant lui ?

L’intérêt se manifeste par ailleurs particulièrement en ces temps de pandémie, où les salariés peuvent regagner en sentiment de sens au travail en cherchant à exploiter pleinement leurs compétences, en particulier celles sous-utilisées, comme l’explique cet article du MIT Sloan Management Review. Publié par 4 chercheurs qui ont questionné 1000 dirigeants et 2000 salariés sur leurs façons de travailler. 92% des participants qui se sont adonnés au job crafting depuis le début de la pandémie ont observé:

– Une diminution de leur niveau de stress (de presque 30%, c’est un chiffre énorme)

 – Une augmentation de leur sentiment de satisfaction professionnelle.

Ce qui vient donner un éclairage réjouissant, puisqu’il ne s’agit donc plus seulement de performance. Pour ma part, vous l’avez compris, je défends l’idée qu’on a le droit de chercher à prendre du plaisir dans son travail, dans son quotidien professionnel (et non pas autour de son travail, comme le proposent les politiques de bien-être au travail et leurs apéros, cours de yoga et tables de ping-pong). Que ce plaisir se situe certes dans l’environnement de travail, mais aussi dans son contenu, son organisation, ses relations et la perception qu’on a de son boulot. Je défends aussi l’idée que le gain de productivité a surtout le bénéfice du temps retrouvé, parce qu’il y a une vie en dehors du boulot et qu’on est pas obligés de se mettre toujours la rate au court-bouillon pour plus de veaux, vaches, cochons et promotions. Mais bien entendu, ce n’est pas avec ça que je vais convaincre les entreprises que l’idée mérite de lui accordée autre chose qu’un sourcil froncé. Alors qu’à cela ne tienne, le job crafting a aussi des bénéfices pour l’entreprise et les autres bénéfices observés par cette étude viennent corroborer les travaux* menés jusqu’ici :

– Meilleure collaboration

– Augmentation de la productivité

– Renforcement du niveau de loyauté

Cependant, chez mes clients managers, qui pratiquent le job crafting et l’encouragent chez leurs collaborateurs, la première source de satisfaction est de voir leurs collaborateurs plus heureux, plus épanouis et plus satisfaits.

Encourager le job crafting dans les organisations

L’article du Sloan MIT propose 4 leviers managériaux pour encourager le job crafting :

  1.  Donner aux salariés un « permis de job crafting », c’est-à-dire leur faire savoir qu’ils ont la possibilité de modifier leur poste de manière autonome. Ce qui ne signifie pas faire n’importe quoi, on observe d’ailleurs que les modifications qu’ils ont envie d’apporter ne relèvent quasiment jamais du caprice ou de l’aberration. Le plus souvent, ces modifications sont intéressantes et constructives.
  2. Créer un environnement émotionnellement sécurisant pour que les salariés puissent expérimenter de nouvelles méthodes, de nouvelles idées sans se sentir jugés ou critiqués.
  3. Fournir les « outils » pour le faire – Les managers craignent souvent que le job crafting se fasse au détriment des tâches et responsabilités inhérentes au poste, mais c’est infondé, car il permet d’associer forces, motivations et valeurs. L’étude a montré que les managers qui encouragent le job crafting voient plutôt une amélioration dans l’atteinte des objectifs.
  4. Donner suffisamment de liberté pour que le job crafting puisse se faire, sous la forme d’objectifs réalistes, d’une définition claire de leur rôle au sein de l’organisation et de la possibilité d’avoir le temps nécessaire dans leur temps de travail.

La place du job crafting dans le management

Le job crafting gagne évidemment à âtre soutenu et encouragé par le management, autant au niveau des équipes qu’au niveau de toute l’entreprise. Ce soutien aiderait à libérer les salariés des craintes qui les auto-censurent dans leurs désirs de modifier les contours de leur job, parce qu’ils pensent parfois risquer d’être jugés peu engagés, s’ils ne manifestent pas un bonheur sans tâche. 

Ainsi par exemple, des managers ouverts aux appétences et formés à encadrer leur collaborateurs en s’appuyant dessus permettraient certainement de contribuer à le développer en encourageant l’expression des désirs et aspirations, devenus légitimes aux yeux de tous. Car malheureusement, elle a la peau dure, la croyance paternaliste  qui consiste à penser que le salarié va par nature en profiter pour tenter de faire passer des caprices infantiles. Or c’est l’inverse qui se produit: les demandes sont le plus souvent raisonnables, les suggestions d’hybridation utiles et intéressantes. Ce sont d’ailleurs souvent ces suggestions qui donnent naissances à de nouvelles fonctions ou de nouveaux métiers:

L'hybridation des métiers: chronique d'une reconversion annoncée

Mais là où le management a un rôle crucial à jouer, c’est dans la reconnaissance apportée aux idées de job crafting. C’est-à-dire dans leur identification et la reconnaissance apportée à leurs bénéfices, par exemple lors des entretiens individuels.

Si le job crafting ne peut donc pas être une technique ou un outil de management, les managers peuvent l’encourager et l’accompagner. Quelques pistes possibles :

  • Encourager toutes les demandes d’ajustements et en étudier systématiquement la pertinence et la faisabilité, de manière à créer la confiance. Rien de pire que les affichages de bonnes intentions vides, comme on en voit tellement, pour créer agacement et frustration. A l’inverse, accéder aux demandes quand c’est possible et explorer des alternatives en cas de refus permet aux collaborateurs de ne pas avoir l’impression que ça ne sert à rien.
  • Questionner les appétences des collaborateurs pour adapter, dans la mesure du possible, les répartitions des tâches.
  • Accorder de l’attention aux idées (hybridations, innovations, changements méthodologiques et organisationnels etc.) sans les rejeter trop vite.
  • Encourager les témoignages de modifications, lors des entretiens individuels, de façon à pouvoir en mesurer les bénéfices et à en reconnaître l’intérêt (et pas seulement en termes de performance), ce qui a un impact fort sur l’estime de soi et la valeur ajoutée du collaborateur, donc du sentiment d’utilité, de contribution et de sens.

Management et job crafting : le rôle de l’élégance relationnelle

Créer un climat de confiance propice au job crafting et à la pollinisation des idées passe à l’évidence par le développement de compétences relationnelles. Imaginez ce que donnerait un management autoritariste ou à l’inverse maternant qui voudrait favoriser le job crafting! D’autre part, lorsqu’on se met à son propre job crafting en temps que salariés, il s’agit de le faire “avec diplomatie” comme le dit l’article des Echos. Mettons sur ce terme une façon d’être en relation avec sa hiérarchie et ses collaborateurs suffisamment élégante et affirmée pour, a minima, faire entendre ses envies ou ses idées.

C’est la raison pour laquelle, dans ma pratique, les deux sont indissociés et avec mes clients managers, nous nous attachons à développer une posture managériale élégante, en fonction de leur propre personnalité. Car l’élégance relationnelle est le socle sur lequel repose tous les changements professionnels, qu’il s’agisse de bifurcations, mais aussi d’amélioration du plaisir de travailler.

Cette posture agréable et affirmée (car l’amabilité sans affirmation de soi n’existe pas, elle se transforme vite en comportement serpillière) favorise les comportements pro-sociaux et une ambiance de travail qui laisse la possibilité à chacun d’être lui-même, de parler sans contrainte de ses besoins et de ses désirs. Car libérer la parole par la confiance n’a jamais signifié devoir dire amen à tout. C’est justement parce que chacun interagit dans un climat de confiance qu’on peut aussi dire non, quand c’est nécessaire, sans crainte et sans faux semblant. Bref, un management sans peur et sans reproche 😉

Esprit chevaleresque et noblesse d'âme: l'élégance relationnelle pour redévelopper le plaisir de travailler (ensemble)


* 4000 études sur le job crafting depuis 2008, 800 rien que cette année, selon The Oxford Review. Quelques exemples d’études sur le job crafting:


Aller plus loin

Vous voulez construire et entretenir une posture managériale agréable et affirmée, propice au job crafting, au bénéfice de votre propre plaisir de travailler comme de celui de votre entourage professionnel? Ithaque vous propose son approche unique, l’élégance relationnelle. Contactez Sylvaine Pascual pour en parler.

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