Élégance relationnelle et connaissance de soi, ressources essentielles pour le « monde d’après »

Internet n’en finit pas de se perdre en conjectures sur ce que sera le « monde d’après » et ce qu’il faudra ou pas y faire. Mais au milieu des océans d’incertitudes, peut-être qu’il est simplement temps de regarder encore un peu dans le présent pour voir, construire le socle sur lequel nous pourrons nous appuyer pour y naviguer.

Le temps suspendu avant le « monde d’après »

Nous avons vu que ce confinement, qu’il s’agisse simplement de le traverser ou parvenir à travailler confinés*, nous a contraint à, ou peut-être a été l’opportunité de, vivre dans le présent, regarder le présent, nous ancrer dans un présent pas toujours simple à gérer. On peut d’ailleurs se perdre en conjectures sur ce que sera « le monde d’après » qu’on nous vend d’un côté comme complètement différent, à coups de « rien ne sera plus comme avant » et de l’autre comme pas si éloigné, en mode « en réalité peut de choses vont réellement changer ». Mais au fond, ce « monde d’après » que nous attendons peut-être comme la sortie d’un tunnel un poil traumatisant, nous n’en savons pas grand-chose et nous le découvrirons à mesure qu’il se dévoilera. Ce tunnel traumatisant n’aura pas nécessairement été une phase de douleur et d’anxiété. Il a laissé beaucoup d’entre nous simplement hébétés, sous l’emprise d’émotions diffuses et en proie à un sentiment de temps suspendu auquel nous sommes peu accoutumés et qui est très bien décrit ici :

Le confinement, révélateur de nous-mêmes

Le confinement et la pandémie nous en ont certainement dévoilé plus de nous-même que les 10, 20 ou trente ans qui ont précédé, tant nos habitudes et nos modes de vies ont été bousculés : isolement, solitude, pression, télétravail ou travail confiné, entassement, enfants, manque de liberté de mouvement, gestion de l’école, articulation des temps de vie, des besoins des uns et des autres, capacité à coopérer, à répartir les tâches, à cohabiter, émotions, temps suspendu, loisirs impossibles, consommation, nos habitudes et nos modes de vie ont été bouleversés. Au point de pointer du doigt, à force de de réactions émotionnelles parfois parfaitement gloubiboulguesques, parfois diffuses et vagues, tout un tas de besoins dont nous n’avions pas forcément conscience en « temps normal ».

Il y a aussi le rapport à notre environnement : de travail, le logement, les transports, l’environnement tout court, c’est quand on passe 23h sur 24 entre les murs de sa maison ou de son appartement qu’on en comprend l’importance et qu’on mesure à quel point nous négligeons certaines sources de bien-être et en regard, l’ampleur de certaines sources de désagréments. Prenons l’exemple de la verdure : il semblerait qu’il ait été plus facile de traverser le confinement quand on a un coin de verdure à savourer. Qu’en restera-t-il quand nous serons déconfinés ? Certains auront acquis la certitude d’en avoir besoin, d’autres l’oublieront rapidement, d’autres encore ne se poseront peut-être même pas la question. Et justement, elle mérite sans doute qu’on s’y intéresse.

Tout cela n’est ni anodin, ni totalement conditionné par cette situation étrange : beaucoup d’entre nous ont été ainsi amenés à se questionner sur « l’après ».  Sur le plan économique, social, politique bien sûr, mais aussi, pour certains, sur le plan professionnel, quoi qu’il convient, sur ce sujet-là, de se précipiter encore moins que sur les autres, tant nous nageons encore dans des incertitudes qui ne rendent pas la décision drastique ultra judicieuse. En d’autre termes, ce n’est vraiment pas le moment de prendre des décisions définitives de reconversion !

Clairement, l’après confinement sera l’occasion de nous questionner plus avant sur ce que nous voulons réellement, pour nous, pour nos proches, en termes de choix de vie, de sens, de choix professionnels. D’ailleurs, c’est aussi pour cela que cette incertitude suscite mille et une façon de penser le « monde d’après », mais l’époque, dans ce qu’elle a fauché nos mondes en plein vol, a montré à quel point la prospective peut se planter. Par exemple, le futur des métiers n’a pas vraiment fait l’objet de visions prophétiques dans le passé et on peine à imagine qu’elle y parvienne à présent. Ce qui, vous l’avez compris, ne plaide pas en faveur de décisions hâtives de reconversion. Pour l’instant, trop d’incertitudes subsistent il est surtout temps de rester un peu, encore, dans le présent confiné et de prendre le temps de le regarder, de nous regarder nous-mêmes pour en tirer tranquillement les enseignements qui nous seront utiles dans ce « monde de demain ».

Deux ressources essentielles pour aborder le « monde d’après »

Car ces enseignements me paraissent bien plus utiles que toutes les prospectives du monde, ressources essentielles à mettre dans notre musette pour nous y retrouver dans le « monde d’après ».  L’imprévu, le phénoménal, l’insensé de cette pandémie sont l’occasion d’aller à la rencontre de nous-mêmes et d’y puiser de quoi construire non pas demain, mais le socle sur lequel nous pourrons l’élaborer au fur et à mesure, en temps et en heure. Ainsi, deux aptitudes vont constituer ce socle et s’avérer fondamentales pour appréhender les changements à mesure qu’ils vont se produire et rester aux avant postes plutôt que de vouloir prendre des trains après qu’ils aient quitté la gare.

1- L’élégance relationnelle

Parce que cette parenthèse de temps suspendu si étrange nous aura montré à quel point les autres sont notre bonheur et/ou notre enfer et à quel point la qualité de nos relations joue un rôle essentiel dans le sentiment d’être heureux, même si nous lui accordons bien peu d’attention en temps normal. Combien nous avons besoin de liens forts, de gens qui ne préoccupent sincèrement de nous, dont nous nous préoccupons avec amour et affection, d’être capable de dire, exprimer, partager entraide, soutien, solidarité, soin, chaleur humaine. Des gens capables d’exprimer, d’entendre et de comprendre les besoins spécifiques, les singularités organisationnelles et méthodologiques. Et être aux avant-postes de cela, c’est justement développer une posture prosociale forte et élégante. 

D’autant qu’il sera aussi indispensable de savoir se positionner, s’affirmer, fixer des limites et dire non, car le travail confiné a potentiellement débouché sur un enfer d’invasion du travail dans la vie privée qu’il vaudra mieux ne pas pérenniser : un blurring total, une exigence de disponibilité accrue. 

2- La connaissance de soi

Parce que moins nous en savons sur nous-mêmes, moins nous sommes en mesure de nous adapter à ce que nous ne pouvons pas maîtriser, moins nous sommes capables de résilience, et moins nous pouvons les exprimer, les faire comprendre et les faire valoir. Inversement, mieux nous nous connaissons plus nous pouvons agir dans le sens de ce qui est important pour nous, histoire de nourrir au quotidien des sentiments qui ont été encore plus malmenés ces temps-ci : utilité, sens, contribution, organisation, joie de vivre et harmonie. J’ai parler d’aptitude, car la connaissance de soi n’est pas un processus qui débouche sur un produit fini. Nous évoluons en permanence et la connaissance de soi est à ce titre plutôt une capacité à la réflexivité.

Bien nous connaître, c’est donc savoir préciser pour nous-mêmes

– Nos besoins professionnels (sans oublier ceux de récupération face à l’épuisante « illusion d’une disponibilité permanente et d’une attention décuplée », comme Emmanuel Alloa la nomme dans cet article : La contingence du virus)

– Nos appétences (comment avons-nous vécu nos tâches et missions professionnelles en confinement ? Ou inversement : le chômage partiel, quel regard nous amène-t-il à porter sur le contenu de notre travail ? Bref, qu’est-ce que nous aimons faire?)

– Nos besoins sociaux-affectifs (certains ont découvert leur part d’oursitude, d’autre leur inappétence pour l’isolement etc.)

Nos sources de vitamines mentales

Nos préférences organisationnelles, méthodologiques, managériales (le travail confiné comme le chômage partiel auront été l’occasion de faire l’expérience d’autres façons de travailler et parfois l’occasion d’expérimenter des degrés différents de desorganisation particulièrement fructueuse pour certains esprits vifs rétifs à la to-do-list!

Nos valeurs (sociétales, morales, motrices), parce qu’elles sont directement liées au sentiment de sens.

Le leadership de soi, préalable au leadership tout court

La question de l’identité

Ces deux points nous amènent à une question cruciale pour aborder ledit « monde d’après »: celle de l’identité. Préalable à d’éventuelles désirs de bifurcation professionnelle,  indispensable à nos décisions pour l’avenir, aux changements pour lesquels nous allons opter et à ce que nous allons choisir de conserver : qui avons-nous envie d’être ? Question à la fois personnelle, relationnelle, professionnelle, sociale, sociétale, éthique, que nous n’aurons pas forcément eu le temps de nous poser jusqu’ici, mais qui affleure dans beaucoup de pensées.

Comme toujours dans les questions d’identité, il ne s’agit pas de « se changer », de « devenir meilleur » plus performant, il ne s’agit pas de se battre contre soi-même pour se forcer à être plus comme-ci et moins comme ça. Il s’agit de se définir soi-même pour s’orienter personnellement, professionnellement, relationnellement, plus en accord avec soi-même, s’adapter en fonction de soi aux évolutions auxquelles nous allons faire face. Et de ce point de vue, la connaissance de soi autant que les choix de posture relationnelle seront déterminants.

Nous y reviendrons !

Cesser de se dévaloriser et construire un regard bienveillant


* Martin Richer Enquête sur le travail par temps de confinement

** Emmanuel Alloa  La contingence du virus


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