Revenons à nos émotions!

Revenons à nos émotions!

Où je vous partage un délicieux court métrage qui illustre ce qui pourrait se passer si nous nous laissions libre cours à nos réactions les plus primaires, face aux situations qui nous hérissent le poil. Le résultat est cocasse et questionnant à la fois. Car les petites frustrations de la vie nous titillent aussi une ou deux cordes sensibles concernant ces émotions encombrantes, dont nous ne savons pas trop quoi faire et que nous finissons trop souvent par taire.

Revenons à nos émotions!

 

Assez!

Bien entendu, vous et moi sommes des gens pleins de bonnes manières, pétris de tolérance et de civilité, qui ne laissons pas nos émotions nous pousser à rouleau-compresser quiconque se trouve à proximité, ou à la jouer Caterpillar avec les objets de nos frustrations.

Mais avouons-le, parfois, cela ne nous empêche pas d’avoir des envies de meurtre ou de considérer que notre leader inspirant du jour ressemble davantage à Demolition-man qu’au Dalaï Lama. Ce qu’illustre parfaitement ce court-métrage réjouissant qui donne vie à ces envies obscures et qui passent par nos têtes quand, d’aventure, la vie met des contrariétés sur notre chemin.

ENOUGH from Anna Mantzaris on Vimeo.

 

Les émotions, cette polyphonie baroque et déconcertante

Et pourtant, quoi de plus normal que de céder à l’exaspération, au découragement, à la frustration ? Nos vies – et surtout nos cafetières – ressemblent à un cabinet de curiosités hétéroclite divisé en deux départements principaux. D’un côté les vitamines mentales, les joies, plaisirs, petits et grands bonheurs, satisfactions, émerveillements et autres joyeusetés agréables qui embellissent nos vies et entretiennent notre formidable bonne humeur. De l’autre, les emmerdes, les épreuves, les aléas, les agacements, les inquiétudes, les souffrances, douleurs et peines qui plombent nos journées, donnent une sorte de dimension tragique à nos vies et nous poussent à imaginer de beaux lendemains dans des ailleurs lointains, tièdes et sereins.

Curieusement (et même s’il n’est pas surprenant qu’un cabinet de curiosité comporte des éléments étonnants), ces deux catégories de sentiments et d’émotions, nous les exprimons peu. Nous sommes souvent émotionnellement atones, au mieux déconnectés de ce qui se passe à l’intérieur de nous, au pire dans le refus et le rejet de ces phénomènes aussi baroques que déconcertants qui nous habitent et nous agitent.

Parce qu’elles jouent une drôle de musique, nos émotions. Faite de contrastes qui ressemblent à des contradictions, des contrepoints, des polyphonies de sentiments, de réactions physiques et cognitives, qui nous paraissent harmonieuses et agréables dans le premier cas, pénibles et dont on se passerait volontiers dans le second. Mais quasiment dans tous les cas : quoiqu’expressives à souhait, elles restent difficiles à exprimer, à clarifier, à partager.

Mieux comprendre la musique baroque et déconcertante de nos émotions

 

Des émotions « positives » ou « agréables » étiquetées infantiles et normalisées

D’une part, exprimer la joie, l’enthousiasme, l’émerveillement continue à susciter les regards suspicieux, même dans une société qui pourtant prône la passion. Le plaisir quant à lui, vous est rapidement renvoyé à la figure dans une vision étroite et purement hédoniste – par ricochet, le voilà considéré comme égoïste, fugace et trompeur. Et voilà quand même des réactions ou des penchants infantiles et révélateurs d’un esprit trop jouisseur pour rentrer dans la catégorie des « professionnels », des gens sérieux, des adultes. Un peu d’enthousiasme, ça va, trop d’enthousiasme et vous voilà bisournours aux lunettes roses qui n’a rien compris à la dureté de la vraie vie, voire, ô comble de l’horreur, un optimiste. Et pourquoi pas dire ce qui nous émeut chez les autres et leur faire des compliments, tant qu’on y est?

D’autre part, comment partager avec simplicité une émotion agréable quand il est devenu de bon ton de s’exposer heureux jusqu’à plus soif dans les postures soigneusement scénarisées et normées des images instagramées de l’Epinal 3.0, celles du bonheur consumériste?  Vous n’allez quand même pas déborder d’enthousiasme ou vous émerveiller à l’idée de vos congés chez Mémé Huguette dans la Sarthe, de votre prochaine mission d’audit financier ou de votre reconversion dans l’orthophonie, ça ne se fait pas d’une part et d’autre part, votre vision de la réussite, c’est quand même du bonheur de petit joueur.

On n’avait déjà pas beaucoup le droit de s’émerveiller ou de se faire plaisir, voilà que maintenant les média, mais aussi les consultants et les entreprises vont nous expliquer ce qui DOIT nous rendre heureux. C’est comme ça qu’on s’est retrouvés avec des tables de ping-pong et aucune remise en cause du management.

3 attitudes à laisser tomber et 3 habitudes à adopter pour être plus heureux tout de suite

 

Des émotions « négatives » ou « désagréables » estampillées inappropriées

A l’autre bout de la ligne des émotions, exprimer une réaction de l’ordre de la colère, l’inquiétude ou la tristesse (dans toutes leurs nuances, de la contrariété à la rage, de la crainte à la panique ou du désespoir à la lassitude) n’a jamais été simple. Nous avons tous appris que piquer une crise, ce n’est pas beau, qu’il n’y a pas de raison d’avoir peur ou que quand on est une grande fille ou un grand garçon, on ne pleure pas. S’est ajoutée à cette sinistre négation de notre météo intérieure une seconde interdiction, celle de l’intelligence émotionnelle telle qu’elle est véhiculée par les consultants, qui nous enjoint de « maîtriser » nos émotions, ce qui, disons-le tout net, n’est pas possible, puisque l’émotion est quasiment de l’ordre du réflexe.

Nous voilà dans de beaux draps plein des trous des injonctions paradoxales: on doit accueillir l’émotion, dans le meilleur des cas, lui donner un nom, mais ensuite on est priés de la remettre poliment dans notre poche avec notre mouchoir par dessus et de la « gérer » à coups de yoga ou de méditation. En revanche, on ne va quand même pas remettre en cause des ordres établis, régler des comptes, ni même tenter d’évoquer le malaise que la situation engendre pour nous, des fois que ça vienne dé-ranger l’ordre équanime (Oh my God, un conflit!) d’un management disruptif – genre d’inspiration footballo-bouddhiste – qui a inventé la dictature du consensus en l’appelant « bienveillance », torpillant au passage des attitudes pro-sociales qui demandent du courage et de la posture.

J’en rajoute une louche ou bien vous en avez autant assez que moi?

Quand la colère cache la vulnérabilité

 

Emotion silencieuse et cocotte-minute

Résumons: dire l’émotion, même en termes courtois et intelligibles est devenu un exercice particulièrement difficile : nous ne comprenons pas ce qui se passe en nous et nous n’avons pas le droit d’en parler.

Voilà la deuxième louche:

A l’ère de la pensée positive obligatoire, nous serions tenus de po-si-ti-ver l’expérience. De chercher ses vertus et bienfaits, parce que, verre à moitié-plein oblige, elle en a forcément. Mais si, enfin, cherche bien, sauf si tu (en mode tutoiement, bien entendu) veux rester engluer dans les marécages des cohortes de losers qui ne sont pas des yes-men, des doers, des winners qui ont compris qu’ils sont seuls aux commandes de leur bonheur.

A l’heure de l’intelligence émotionnelle, nous serions supposés « contrôler » « maîtriser » « canaliser » ou « réguler » nos émotions. Quelle que soit la sémantique qu’on préfère utiliser, l’idée reste la même : contrôle tes petits nerfs, coco, pour te « libérer de tes émotions » surtout quand elles sont des « perceptions erronées ». et  l’intelligence émotionnelle est la mère de toutes les qualités et la seule garante de la réussite de notre vie – ce que Daniel Goleman lui-même réfute, accusant les consultants d’en colporter une vision erronée. 

Bref, on ne sait plus à quel saint se vouer et nous voilà décontenancés, qui avons honte de ce que nous ressentons, bande de demeurés aux émotions inappropriées que nous sommes priés de neutraliser. Et que se passe-t-il, à force de se prêter gentiment à ce petit jeu de dupes ?

On s’éteint et de temps à autre on pète un plomb.

On s’éteint dans le sens où l’on se désensibilise de ce qui nous tenait à cœur, de ce que nous disent nos tripes. A force de ne plus réagir, on finit par se laisser aller à ne plus penser par nous-mêmes. Par céder à la moutonnerie mollassonne qui s’extasie de toutes les couleuvres qu’on cherche à lui faire avaler, comme le fait que le bien-être au travail tiendrait à une salle de sieste, histoire que nous n’ayons pas la prise de conscience pénible (pour l’entreprise) qu’il s’agit avant tout de qualité des relations (ce qui n’exclue ni les conflits ni les frictions) et de conditions et contenu du travail. Des fois que ça nous pousse à la contestation!

On javellise l’expérience émotionnelle, on la blanchit, on l’affadit on l’appauvrit jusque dans la sémantique qui se résume à deux possibilités:

– « Ca va » – auquel on ajoute dans le meilleur des cas « bien »
– Je suis stressé(e) – qui a l’énorme avantage de rester vague, ce qui permet de donner une réponse de l’ordre de « ben t’as qu’à méditer » ou « faire du sport » ou « mieux t’alimenter ».

Et à force de ne pas la voir, de ne pas l’entendre, de ne pas se l’autoriser cette expérience émotionnelle, elle déborde. Dans cet ordre d’idée, ce court métrage a un effet remarquablement salutaire : il est dépuratif. Par le rire, il nous permet d’évacuer nos petites envies obscures de régler nos contrariétés d’une façon très Game of Throne et peu empreinte d’élégance relationnelle.

En même temps, il m’inspire aussi, vous l’avez compris, qu’il y en a marre. Assez!  Trop souvent remiser nos émotions dans le placard à absurdités fait de nous des cocottes-minute ambulantes, prêtes à péter un plomb, mûres pour le burnout alors que nous devrions (ou du moins cette option est à notre disposition) les utiliser pour questionner notre condition. Revenons à nos émotions! Réapprenons à les accepter, à les observer, à les utiliser, à les exprimer avec élégance, quelle que soit leur nature! Car il n’est pas possible de construire une posture relationnelle agréable, élégante, affirmée et en harmonie avec nous-même sans reconnecter à nos propres émotions.

 

Voilà ce que je vais aborder dans une seconde partie, parce que vous l’avez compris, la neutralisation des émotions me fatigue, m’agace et m’inquiète dans toutes les conséquences qu’elle peut avoir sur notre bien-être. Je vous propose donc de reconnecter avec les nuances infinies de nos émotions pour mieux renouer avec cette biodiversité émotionnelle et résister à l’appauvrissement des sentiments. Reconnecter avec ce qui se passe dans notre relation à nous-mêmes, aux autres, au monde qui nous entoure. Ce qui nous ramènera à des considérations sémantiques et au concept de granularité émotionnelle. Et en attendant:

 

Aller plus loin

Vous voulez comprendre vos propres émotions, être en mesure d’en décoder les messages, de les exprimer sereinement? Vous voulez les mettre au service de votre bien-être et vous appuyer dessus pour développer une élégance relationnelle favorable à votre plaisir de travailler et à celui de votre entourage professionnel? Ithaque vous accompagne. Pour tous renseignements, contactez Sylvaine Pascual.

2 Comments

  • Merci, Sylvaine, pour cet excellent article, qui nous rappelle qu’il n’y a pas d’émotion ridicule et qu’elles ont toutes leur rôle.

    Nous avons appris à les ignorer (en grande partie dans notre enfance), puis à les masquer ou les travestir (sur les réseaux sociaux), alors que la simple démarche –pour commencer- de juste apprendre à les nommer est la première étape de la connaissance de soi.
    Plus que des réflexes, je pense qu’elles sont la suite directe d’une pensée et en identifiant cette pensée, nous apprenons à comprendre comment nous fonctionnons, ce n’est pas rien !
    Approprions-nous avec courage, fierté et compassion toutes nos émotions !

    (Et merci de m’avoir fait connaître cette superbe vidéo !)

    • Avec plaisir!
      Effectivement, nous n’avons jamais appris quoi faire de nos émotions !
      La première étape qui consiste à les accueillir et les nommer est le tout début de la ré-appropriation… encore faut-il avoir les mots pour le dire.C’est toute la question de la granularité des émotions que j’aborderai dans la seconde partie:)

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